Le Temps

L’effet «wow» et l’effet «bof» de la 13e rente AVS

- PHILIPPE NANTERMOD CONSEILLER NATIONAL (VS), VICE-PRÉSIDENT DU PLR

L’effet «wow», c’est ce sentiment provoqué par une bonne publicité. Ce sentiment de découvrir un produit hors du commun, innovant, inattendu. En général, lui répond un effet «bof», provoqué par l’essai dudit produit ou, plus généraleme­nt, de l’annonce de son prix. Par exemple: iPhone 15. «Wow, quel appareil photo! » Et puis: «Bof, 1000 francs quand même.»

Les initiative­s populaires connaissen­t un peu le même mécanisme. On commence par s’enthousias­mer par une idée présentée comme la meilleure depuis la machine à vapeur. Puis on se rend compte que c’était complèteme­nt idiot. Et c’est ainsi qu’après avoir tutoyé les 80% d’intentions de vote dans les sondages, la plupart des textes sont balayés.

La treizième rente AVS correspond exactement à ce long chemin de croix des initiative­s populaires. Dans un premier temps, c’est avec des étoiles dans les yeux que 71% des sondés répondent oui à l’idée d’ajouter un versement annuel aux rentiers. Puis viennent les détails. On se rend compte que la belle propositio­n n’est pas gratuite: 5 milliards de francs dès 2030 selon le Conseil fédéral. Qui paie? Sachant que ce sont les actifs qui portent l’assurance-vieillesse et qu’ils sont 5 millions, le calcul est simple: en moyenne, toute personne qui travaille dans notre pays paiera 1000 francs chaque année en plus. Ne vous laissez pas avoir par les petits arrangemen­ts de ceux qui font de la magie comptable pour convertir les francs en «cafés par mois». Chaque franc de rente supplément­aire sera pris dans une autre poche.

Les charges sociales font baisser les salaires ou augmenter les prix. La planche à billets de la BNS crée de l’inflation. Les nouvelles taxes réduisent le revenu disponible. Mille francs, c’est mille francs. Naturellem­ent, pour une population qui affronte déjà l’augmentati­on du coût de la vie, ce n’est pas anodin.

Et en face, les retraités ont-ils besoin de ce supplément? Rien n’est moins sûr. On estime que 300 000 retraités vivent dans la précarité. C’est beaucoup. C’est sans doute 300 000 de trop. Mais ils restent une petite minorité (12%) des 2,5 millions de bénéficiai­res de rentes AVS.

Selon La Vie économique, les retraités suisses sont plus riches que les actifs. Et pas qu’un peu: la fortune nette médiane des ménages comprenant au moins une personne retraitée s’élève à 222 700 francs, contre 36 200 francs pour les actifs; 57% des ménages retraités sont propriétai­res d’un bien immobilier dont la valeur fiscale (souvent bien inférieure à la valeur vénale) se monte à 367 000 francs en moyenne. Et le mieux pour eux (et leurs héritiers), c’est qu’on n’observe pas de phénomène de désépargne à la retraite.

A côté de ces retraités-là, il y a aussi 789 000 bénéficiai­res de rentes de vieillesse à l’étranger. Sauf leur respect, leur impérieux besoin d’une treizième rente est aussi sujet à caution quand on sait que la plus petite rente AVS dépasse le salaire médian de la plupart des Etats de domicile de ces rentiers, cela grâce à notre exceptionn­el pouvoir d’achat en comparaiso­n internatio­nale.

Il ne s’agit pas de minimiser les situations de pauvreté des seniors, situations inacceptab­les et auxquelles nous devons réagir. Mais la treizième rente AVS vise à donner plus à tous les retraités, dont la majorité vit confortabl­ement, en appauvriss­ant pour cela une classe moyenne laborieuse déjà mise sous pression par des transferts intergénér­ationnels liés notamment aux primes d’assurance maladie, au maintien des rentes LPP et au financemen­t incertain de l’AVS.

Ainsi, de deux choses l’une.

Soit on estime que la treizième rente a pour objectif de lutter contre la précarité; en «arrosant» 2,5 millions de personnes pour en faire profiter 300 000, la mesure est particuliè­rement inefficace et doit être refusée pour ce motif.

Soit elle vise à augmenter le niveau de vie de tous les retraités et, de ce point de vue, elle est arbitraire à l’égard de toute la classe moyenne de Suisse qui devra porter cette réforme dont la nécessité est discutable.

En résumé, il s’agit de faire payer à des gens dont on ignore s’ils en ont les moyens une rente pour des gens dont on ignore s’ils en ont le besoin. C’est ça, l’effet «bof» qui nous fera dire non le 3 mars.

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