La Réserve fédérale le répète: il n’y aura pas de baisse des taux en mars
Jerome Powell, le président de la Fed, s’est exprimé dans une émission de télévision à forte audience pour répondre aux craintes de l’Américain moyen et résister aux pressions
Les taux d’intérêt américains ne baisseront probablement pas en mars. Et ils redescendront moins vite que ce que prévoient les marchés. C’est le double message qu’a envoyé Jerome Powell à la télévision américaine dimanche. Le président de la Réserve fédérale américaine (Fed) s’est exprimé dans le très regardé magazine d’information «60 Minutes», pour la première fois depuis la résurgence de l’inflation aux Etats-Unis, au deuxième semestre 2021.
Marge de manoeuvre
Dès mars 2022, la Réserve fédérale a remonté ses taux de zéro à un niveau compris entre 5,25% et 5,5%. Le coût des hypothèques et des crédits à la consommation a pris l’ascenseur. Puis l’inflation a fini par reculer, passant de plus de 7% mi-2022 à moins de 3% en fin d’année dernière. En cette année électorale américaine, les appels à une baisse des taux se font plus pressants. «Jerome Powell a voulu répondre aux craintes de l’Américain moyen, qui vit avec des taux élevés depuis longtemps et se demande pourquoi ils ne baissent pas maintenant», résume Adrien Letellier, de Bordier.
Malgré la baisse des prix, «la Fed veut se laisser quelques mois pour s’assurer que l’inflation continue d’évoluer dans le bon sens», détaille Adrien Letellier. Cette marge de manoeuvre est nécessaire car le marché du travail reste très solide outre-Atlantique. Selon des données dévoilées vendredi, 353 000 emplois ont été créés en janvier, soit deux fois plus qu’attendu, tandis que le chiffre de décembre a été revu à la hausse. Le taux de chômage est resté stable à 3,7%.
«Jerome Powell a répété dimanche ce qu’il avait affirmé mercredi lorsque la Fed a décidé de laisser ses taux inchangés: une baisse des taux en mars est très improbable», relève Gero Jung, économiste en chef chez Mirabaud. «Ses propos de dimanche ont d’autant plus de poids après les indicateurs publiés vendredi.»
On a aussi appris vendredi que les salaires ont augmenté de 4,5% sur un an. Une telle progression n’est pas alignée avec l’objectif de 2% recherché par la Fed. La consommation représentant deux tiers environ de l’économie américaine, un marché du travail très porteur agit comme un dopant sur la demande et donc l’inflation.
Mercredi, Jerome Powell n’était pas parvenu à dissiper les attentes excessives de baisses de taux; le rapport sur l’emploi américain de vendredi a fait une partie de son travail, car l’économie américaine est maintenant considérée pour ce qu’elle est, une économie en période de reprise, résume dans une note Florian Ielpo de Lombard Odier.
Le message semble être passé: «Le marché escompte désormais une probabilité de 18% d’une baisse des taux en mars, alors qu’elle était de presque 50% avant la conférence de Powell et même de 90% en fin d’année», observe Adrien Letellier de Bordier. Un doute s’est même instillé quant à la date de la première baisse; les investisseurs estiment qu’elle a 60% de chances de se produire en mai, contre 100% auparavant. Récemment encore, les investisseurs prévoyaient 4 baisses de taux cette année; ce sera vraisemblablement trois. «Par sa communication, Jerome Powell veut réduire les divergences de vues entre le marché et la Réserve fédérale, car c’est une source de volatilité», reprend Gero Jung de Mirabaud. On l’a encore constaté vendredi après la publication des chiffres de l’emploi américain, lorsque le rendement des obligations américaines à deux ans a très rapidement progressé de 14 points de base.
Le triomphe de l’espoir sur l’expérience
«Jerome Powell veut réduire les divergences de vues entre le marché et la Réserve fédérale» GERO JUNG, ÉCONOMISTE EN CHEF CHEZ MIRABAUD
En jeu, la possibilité pour la Fed de réussir quelque chose d’inédit depuis plus d’un demi-siècle. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, chaque période de forte hausse des taux d’intérêt américains s’est historiquement traduite par une progression du chômage et une baisse notable de l’activité économique, voire une récession. «Mais les chiffres publiés en fin de semaine signalent que l’économie américaine ne va pas reproduire cette tendance cette fois. Pour l’instant, c’est le triomphe de l’espoir sur l’expérience», conclut Gero Jung, paraphrasant au passage l’auteur anglais Samuel Johnson (sa citation faisait référence au remariage).
Confrontée à une croissance proche de zéro, la Banque centrale européenne devrait être poussée à abaisser ses taux d’intérêt avant la Fed, probablement en avril, et la Banque nationale suisse en juin.
■