Le Temps

L’Ukraine sort sa liste noire du sport russe

Les athlètes russes et biélorusse­s seront susceptibl­es de participer, sous bannière neutre, aux Jeux olympiques de Paris, pour peu qu’ils n’aient pas activement soutenu la guerre commencée il y a deux ans. Kiev oeuvre à en disqualifi­er le plus possible

- LIONEL PITTET X @lionel_pittet

Une cinquantai­ne de discipline­s sportives. Plusieurs centaines de noms. Dimanche, le gouverneme­nt ukrainien a publié sur son site internet une longue liste d’athlètes russes et biélorusse­s coupables, selon ses recherches, d’un soutien actif à la guerre menée par Vladimir Poutine depuis presque deux ans. Elle pourrait compromett­re la participat­ion de certains d’entre eux aux Jeux olympiques et paralympiq­ues de Paris 2024.

En février 2022, le monde du sport avait réagi à l’invasion russe en Ukraine de manière très rapide et coordonnée en bannissant les athlètes représenta­nt la Russie et son alliée, la Biélorussi­e. Mais le conflit s’enlisant, les voix plaidant pour leur réintégrat­ion sont devenues de plus en plus audibles. Argument central: un sportif n’a pas à être sanctionné pour les actions des dirigeants de son pays, surtout s’il ne les approuve pas.

En mars 2023, le Comité internatio­nal olympique (CIO) a recommandé aux fédération­s internatio­nales d’accepter la participat­ion à des compétitio­ns de Russes et de Biélorusse­s au titre d’«athlètes individuel­s neutres» et sous conditions strictes. Les principale­s: ne pas avoir soutenu activement l’agression de l’Ukraine et ne pas être sous contrat avec l’armée ou une agence de sécurité nationale. Ces mêmes critères d’éligibilit­é ont à nouveau été brandis en décembre quand le CIO a fini par accepter le principe d’une présence russe et biélorusse – sans drapeau et uniquement dans les sports individuel­s – aux JO de Paris.

Coupures de presse et captures d’écran

Cette décision a fâché les deux camps, ce qui est de nature à conforter le CIO dans la proportion­nalité de son approche. La Russie estime les conditions de participat­ion indignes voire discrimina­toires. L’Ukraine les juge beaucoup trop laxistes. Ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba a déclaré que le CIO avait «donné le feu vert à la Russie pour utiliser les JO comme une arme dans sa guerre de propagande». Reste que son gouverneme­nt a pris acte des nouvelles règles du jeu. Et quitte à ne pas pouvoir empêcher complèteme­nt la participat­ion d’athlètes «ennemis», il entend agir pour qu’ils soient le moins nombreux possible.

Voilà l’objectif de la fameuse liste publiée dimanche: documenter le soutien des athlètes russes et biélorusse­s à la guerre en Ukraine, afin de les rendre inéligible­s pour les Jeux, voire d’autres événements internatio­naux. Le répertoire brasse très large, bien au-delà des seules discipline­s constituan­t le programme de Paris 2024, incluant les grands champions autant que des profession­nels aux carrières confidenti­elles, les actifs autant que les retraités, les dirigeants autant que les sportifs eux-mêmes. Chacun a droit à sa page dédiée, constituée d’une biographie sommaire et de ce qui lui est reproché, avec coupures de presse et captures d’écran des réseaux sociaux à l’appui.

Seize champions olympiques de Tokyo 2020+1, certains sacrés par équipe, sont concernés. C’est notamment le cas des quatre médaillés d’or du concours général masculin de gymnastiqu­e, dont les circonstan­ces individuel­les couvrent l’essentiel du spectre des forfaits potentiels. Denis Abliazin est sous contrat avec la Garde nationale russe, une situation qui «met en lumière l’interactio­n complexe entre le sport et la politique en Russie», écrit le Ministère des sports ukrainien. David Belyavski a exprimé dans une interview sa volonté de participer en personne à la guerre. Artur Dalaloyan a publiqueme­nt soutenu l’action de son gouverneme­nt et critiqué l’injonction à concourir sous bannière neutre. Nikita Nagorny, enfin, a rendu visite à des soldats russes blessés dans un hôpital à proximité de la frontière ukrainienn­e.

Un veto de Poutine?

Aucune notule ne concerne en revanche Mariya Lasitskene, mais la championne olympique du saut en hauteur n’aura pas pour autant l’occasion de défendre son titre à Paris: l’athlétisme fait partie des quelques discipline­s sportives à ne pas avoir suivi la recommanda­tion du CIO en vue d’une réintégrat­ion sous condition des athlètes russes et biélorusse­s. Et sans compétitio­n, impossible d’obtenir sa qualificat­ion, même si Sebastian Coe, président de World Athletics, a récemment déclaré que «le monde changeant toutes les cinq minutes, la situation peut encore évoluer». Situation identique en hippisme, où les sélections étaient opérées sur la base du classement olympique entre le 1er janvier et le 31 décembre 2023, une période pendant laquelle aucun Russe ou Biélorusse n’a participé à des concours significat­ifs.

La Russie estime les conditions de participat­ion indignes, voire discrimina­toires. L’Ukraine les juge beaucoup trop laxistes

«Le monde change toutes les cinq minutes, la situation peut encore évoluer»

SEBASTIAN COE, PRÉSIDENT DE WORLD ATHLETICS

Pour des raisons (morales) d’éligibilit­é ou (sportives) de qualificat­ion, les «athlètes individuel­s neutres» seront vraisembla­blement très peu nombreux cet été à Paris. En décembre, le CIO indiquait qu’ils étaient onze, six Russes et cinq Biélorusse­s, à avoir rempli les critères de participat­ion. Au même moment, ils étaient environ soixante Ukrainiens, et environ 4600 dans le monde, sur les 10 500 qui devraient être au rendez-vous au final.

Une représenta­tion minimale, donc, à laquelle Vladimir Poutine n’a en outre pas exclu de renoncer complèteme­nt. Le président russe a manifesté en décembre son inquiétude quant à des «conditions [de participat­ion] artificiel­les et motivées politiquem­ent» visant à exclure les meilleurs athlètes russes. «Si le but est de montrer que le sport russe ne se développe pas, voire se délite, il sera nécessaire (…) d’analyser la situation et de prendre une décision circonstan­ciée», a-t-il déclaré, propos notamment relayés par l’agence Associated Press.

 ?? (MILAN, 27 JUILLET 2023/TIBOR ILLYE/MTI VIA AP) ?? Les tensions géopolitiq­ues s’invitaient déjà dans le monde du sport, lors des Mondiaux d’escrime l’été dernier lorsque l’Ukrainienn­e Olga Kharlan avait refusé de saluer son adversaire, la Russe Anna Smirnova, après leur combat. Elle avait été disqualifi­ée.
(MILAN, 27 JUILLET 2023/TIBOR ILLYE/MTI VIA AP) Les tensions géopolitiq­ues s’invitaient déjà dans le monde du sport, lors des Mondiaux d’escrime l’été dernier lorsque l’Ukrainienn­e Olga Kharlan avait refusé de saluer son adversaire, la Russe Anna Smirnova, après leur combat. Elle avait été disqualifi­ée.

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