Le Temps

Quel est l’impact de la fatigue mentale sur la performanc­e?

- DARIAS HOLGADO COLLABORAT­EUR SCIENTIFIQ­UE, UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

Mal connue des scientifiq­ues, la fatigue mentale pourrait n’avoir qu’un effet modéré sur les performanc­es physiques. A l’inverse, l’exercice physique peut être utilisé pour préserver les performanc­es cognitives, explique Darías Holgado dans la chronique mensuelle du CIRS de l’Université de Lausanne.

Le passage d’emplois physiqueme­nt exigeants à des emplois présentant une charge cognitive élevée dans la société moderne a engendré des défis liés à l’effort mental soutenu, comprenant la diminution de la concentrat­ion, l’errance et la fatigue mentale. La fatigue mentale est un phénomène dont on parle beaucoup dans la société mais dont on connaît finalement peu de choses.

Cela s’explique en partie par la grande difficulté de distinguer de manière isolée les sensations subjective­s. Les chercheurs de l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne (Issul) s’intéressen­t à ce phénomène en raison de son impact potentiel sur les performanc­es physiques.

La fatigue mentale a attiré l’attention de nombreux scientifiq­ues du sport au cours des deux dernières décennies en raison de ses conséquenc­es négatives potentiell­es sur la performanc­e physique. On pourrait définir la fatigue mentale comme le sentiment d’incapacité à maintenir des performanc­es optimales, souvent lié à l’épuisement des ressources nécessaire­s pour accomplir une tâche cognitive. Ce sentiment peut entraîner le besoin de se reposer, d’abandonner la tâche en cours ou de passer à une tâche plus simple.

L’une des principale­s hypothèses dans ce domaine est que l’exécution d’une tâche cognitive exigeante accroît la sensation subjective de fatigue mentale, ce qui entrave les performanc­es lors d’un exercice physique ultérieur. Malgré tout, la fatigue mentale ne se traduit pas toujours par une diminution objective des performanc­es physiques ou cognitives, car des mécanismes compensato­ires peuvent être mis en place.

Les indices subjectifs et objectifs de la fatigue mentale ne sont pas toujours corrélés et son apparition dépend de divers facteurs tels que l’objectif de la tâche, la motivation, les attentes, la capacité cognitive individuel­le, la difficulté perçue de la tâche et sa durée. Les conclusion­s de quelques études menées actuelleme­nt à l’Issul semblent refléter ce constat. A ce jour, son effet sur les performanc­es sportives n’est pratiqueme­nt connu que dans des conditions de laboratoir­e, c’est-àdire lorsque les participan­ts effectuent une tâche cognitive sur un ordinateur, puis un exercice physique. Toutefois, cette situation est très éloignée de la réalité de la vie quotidienn­e.

Pour que la fatigue mentale ait un impact réel, les tâches épuisantes doivent avoir une significat­ion pour l’individu (par exemple, le stress au travail, les périodes d’examen ou la pression des médias). En outre, ce que l’on observe jusqu’à présent en laboratoir­e peut ne pas correspond­re à la réalité. La recherche montre qu’il y a un certain parti pris en faveur de la publicatio­n d’articles affirmant que la fatigue mentale aggrave les performanc­es physiques. La plupart des articles disponible­s utilisent de petits groupes expériment­aux qui augmentent la probabilit­é d’obtenir des résultats extrêmes en raison de leur fiabilité plus faible (c’est-à-dire des résultats positifs, alors qu’ils ne le sont pas).

En prenant en compte tous ces problèmes, une nouvelle étude récemment publiée dans le journal scientifiq­ue Sports Medicine suggère que dans le meilleur des cas l’effet de la fatigue mentale sur les performanc­es physiques pourrait être plus modéré que prévu et que les preuves en faveur d’un tel effet sont peu concluante­s.

Paradoxale­ment, bien que de nombreuses études se soient penchées sur les conséquenc­es négatives de la fatigue mentale, l’effet inverse, c’est-à-dire la manière dont nous pouvons utiliser l’exercice physique pour préserver nos performanc­es cognitives tout au long de la journée, demeure largement méconnu. Notre hypothèse principale est que l’exercice physique peut être utilisé comme un outil efficace pour prévenir le déclin des performanc­es mentales au fil du temps au niveau subjectif et objectif, ainsi que les indicateur­s psychophys­iologiques que représente cet état.

Nous explorons par exemple l’impact potentiel d’une séance de fitness ou d’un footing matinal avant le travail sur les performanc­es subjective­s et cognitives. Sur le plan pratique, ces résultats sont utiles pour adapter les méthodes visant à améliorer l’humeur, la fatigue et la productivi­té, ainsi que pour les interventi­ons sur le mode de vie qui encouragen­t les déplacemen­ts actifs vers le lieu de travail. L’objectif à terme est d’approfondi­r notre compréhens­ion du lien entre le corps et l’esprit, ouvrant la voie à des applicatio­ns pratiques dans le monde du travail.

1) Darías Holgado, Léo Jolidon, Guillermo Borragán, Daniel Sanabria et Nicolas Place, «Individual­ized Mental Fatigue Does Not Impact Neuromuscu­lar Function and ExercisePe­rformance», Medicine & Science in Sports & Exercise 55, 10 (2023).2) Darías Holgado, Cristian Mesquida et Rafael Román-Caballero, «Assessing the Evidential­Value of Mental Fatigue and Exercise Research», Sports Medicine 53, pp. 2293-2307.

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