Le Temps

A Antigel, un voyage au pays d’une jeunesse embrasée

Après un premier volet envoûtant ce week-end à Plan-les-Ouates, le festival genevois invite à deux autres déambulati­ons mêlant casques audio et danse urbaine à Thônex et Meyrin, mi-février. Une immersion qui explore la violence chez les ados

- VIRGINIE NUSSBAUM X @Virginie_nb

Une procession urbaine. Une silent disco, sauf que la piste est un parking et la musique, un chant de révolte et d'espoir. Samedi soir à Plan-Les-Ouates, une marée de casques vert fluo infiltrait un bâtiment en fin de travaux: un futur centre profession­nel, ventre de béton encore vide que sont venues hanter, jusque dans ses soussols, des silhouette­s élastiques. Des apparition­s entre hip-hop et glisse pour escorter les visiteurs dans la pénombre tandis que dans leurs oreilles, une voix les interpelle: «L'utérus de la ville. C'est beau non?»

Etincelle, spectacle signé du festival Antigel, est le premier des trois volets de Chroniques urbaines: des déambulati­ons artistique­s qui abordent la violence des jeunes dans des communes genevoises où, même si on l'oublie, elle existe aussi.

«Des sujets qui touchent Genève»

Pour chaque lieu, un auteur ou une autrice explore la thématique dans une bande audio tandis que des élèves de la Urban Move Academy, cette école du sport urbain au bout du lac, s'agitent à la lumière des néons. Après Plan-Les-Ouates suivront Thônex et Meyrin mi-février – chaque épisode pouvant se découvrir indépendam­ment.

Si le festival genevois a l'habitude de sillonner les quatre coins du canton et occuper des lieux oubliés, ce triptyque est une première, confirme le directeur Eric Linder. L'idée est née là, dans les communes où le festival s'est mis à l'écoute des préoccupat­ions des élus – et des faits divers marquants.

A commencer par la mort, en mai 2023, d'un jeune de 18 ans poignardé par des mineurs sur une place de Thônex. «A Antigel, on doit pouvoir aborder les sujets qui touchent Genève dans un temps court, rassembler les communes là autour, inviter des artistes à porter un regard sur cette matière première, et vivante.»

Jean-Jacques Rousseau et les collabos

C'est Emmanuelle Destremau, actrice, chanteuse et autrice française, qui a ouvert le bal. Sur une bande-son atmosphéri­que signée du musicien arméno-suisse Varoujan Chetirian, où s'invitent des nappes de rap, elle plonge le festivalie­r dans un dialogue entre trois amis, qui dissertent sur l'origine de la violence. Intrinsèqu­e à l'être humain? Fléau des sociétés modernes?

Avec leur vocabulair­e, ils convoquent Jean-Jacques Rousseau et les jeux vidéo, les chasseurs-cueilleurs et les collabos, triturant les chiffres pour leur donner du sens – dans le monde, on estime à 176 000 par an les homicides chez les jeunes entre 15 et 29 ans. «Y'a toujours une étincelle qui fait partir le truc en vrille…» Mais entre ces murs encore vierges, un autre monde est-il possible?

Comme pour incarner ces dilemmes, derrière les baies vitrées ou dans la pénombre enfumée des sous-terrains, une quinzaine d'interprète­s de la Urban Move Academy font tournoyer leurs jambes et leurs planches avec une fougue animale. A la fin de la balade, les battles de danse et de parkour éclatent en pleine lumière, les tensions sont libérées, les énergies solaires. Pas une étincelle, un embrasemen­t.

«Comment éviter de commettre les mêmes erreurs ailleurs?»

Un mélange d'atmosphère­s que cultive Gabor Varga, programmat­eur au festival. «Même si l'on a beaucoup parlé de cette violence ces derniers temps, et que ça se passe aussi chez nous, on ne voulait pas généralise­r et réduire les jeunes à ça. Reste que le lieu n'a pas été choisi au hasard: c'est dans les parkings qu'ils se retrouvent souvent, car trop peu d'espaces leur sont dédiés.»

Alors que le public arpentera les rues de Thônex sur un monologue lourd de sens de l'écrivain Antoine Jaccoud, à Meyrin, c'est le texte philosophi­co-loufoque d'Olivia Csiky Trnka qui animera le parcours dans l'écoquartie­r des Vergers. «On associe ces problèmes aux anciennes cités, mais comment éviter de commettre les mêmes erreurs ailleurs?»

Une manière d'éclairer une autre face de Genève, et une génération, loin des gros titres et des clichés. Et d'impliquer les premiers concernés: Eric Linder espère qu'ils seront nombreux à découvrir les prochains volets. «Même si les jeunes ne viennent pas, ils apercevron­t 150 personnes en procession dans leurs quartiers, et verront que là, sur les places qu'eux occupent, des gens se sont intéressés à eux.»

Les prochains volets de Chroniques urbaines:

Lueurs, Thônex, Ecole Marcelly, ve 16 février à 18h30 et 20h30, sa 17 février à 18h30. Puis Brûle, Meyrin, Ecole des Vergers, di 18 à 14h et 16h.

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