Joe Biden rattrapé par les fantômes du passé
Bientôt quatre mois après le massacre du Hamas et le début de la guerre à Gaza, le président est engagé dans une campagne de représailles dans trois pays du Moyen-Orient, tout en affirmant vouloir éviter une extension du conflit
Joe Biden s’est figé vendredi pour rendre hommage aux trois soldats américains tués en Jordanie. Peut-être se remémorait-il la cérémonie identique deux ans et demi plus tôt sur la même base de Dover, dans le Delaware, quand il avait accueilli les 13 cercueils couverts de la bannière étoilée des soldats tués lors du retrait chaotique d’Afghanistan. Entre ces deux événements, l’administration Biden avait délaissé le Moyen-Orient, accaparée par l’invasion russe de l’Ukraine ou la montée de la menace chinoise.
La région s’est brutalement rappelée au souvenir du président le 7 octobre dernier, quand le Hamas a massacré 1200 Israéliens. Depuis, cette crise consume l’administration démocrate. Pour la cinquième fois, le secrétaire d’Etat, Antony Blinken, est en mission au Moyen-Orient. En Arabie saoudite, en Egypte, au Qatar, en Israël et enfin en Cisjordanie, il compte «poursuivre les efforts diplomatiques» pour obtenir la «libération de tous les otages» encore aux mains du Hamas mais aussi «une trêve humanitaire» qui permettrait «l’augmentation de l’aide aux civils de Gaza».
Exaspération croissante à l’égard de Netanyahou
Les mots soigneusement soupesés par la communication du Département d’Etat n’ont pas changé. Après quatre mois de guerre à Gaza, et plus de 27 000 morts, dont une majorité de civils, Antony Blinken se garde bien de réclamer un cessez-le-feu. Le président, malgré sa proximité avec l’Etat hébreu, n’a pas réussi à l’influencer en freinant l’offensive dévastatrice de l’armée israélienne à Gaza. Depuis, le soutien sans faille a laissé place à une exaspération croissante à l’égard du gouvernement de Benyamin Netanyahou, qui refuse d’esquisser une sortie politique du conflit. Malgré tout, l’aide militaire américaine n’est pas remise en cause et les rares pressions américaines s’exercent en périphérie de la guerre. Jeudi dernier, Washington sanctionnait quatre colons israéliens accusés par leurs violences de jeter de l’huile sur le feu en Cisjordanie, l’autre territoire palestinien.
Les frappes se succèdent
Alors que la diplomatie s’active, les militaires américains ont eux aussi fort à faire. Lundi, l’armée a détruit des drones marins chargés d’explosifs qui menaçaient ses navires en mer Rouge. Depuis la mi-janvier, Washington a décidé de répondre militairement aux attaques menées par les houthis depuis le Yémen. En ciblant le trafic maritime sur cet axe stratégique, les miliciens proches de l’Iran prétendent vouloir faire cesser la guerre à Gaza. Durant le week-end, les Etats-Unis ont frappé le territoire yéménite à plus de 30 reprises en représailles.
L’offensive israélienne à Gaza a aussi servi de prétexte aux milices pro-iraniennes en Irak et en Syrie pour augmenter leurs attaques et chasser les dernières troupes américaines de ces deux pays. Après la mort des trois soldats sur une base américaine en Jordanie, toute proche de la frontière syrienne, les Etats-Unis ont riposté vendredi dernier, assurant que d’autres frappes allaient suivre, mais excluant pour l’instant de viser l’Iran, le parrain de tous ces groupes.
Lundi, le porte-parole du Pentagone, le major général Patrick S. Ryder, dressait un premier bilan de ces opérations militaires qui marquent un tournant alors que les Etats-Unis envisageaient de retirer leurs dernières troupes d’Irak, plus de vingt ans après avoir envahi ce pays, une décision catastrophique que Joe Biden, alors sénateur, avait soutenu. Le Pentagone estime que 80 des 85 cibles visées vendredi – des centres de commandement ou des dépôts d’armes – ont été détruits ou rendus inopérables.
Ces opérations militaires marquent un tournant alors que les Etats-Unis envisageaient de retirer leurs dernières troupes d’Irak
Aucun bilan humain n’a été articulé par Washington mais les autorités irakiennes et syriennes évoquent une trentaine de victimes, dont des civils. Cette riposte n’a toutefois pas dissuadé les milices pro-iraniennes de lancer deux nouvelles attaques en Syrie depuis vendredi. Celles-ci n’ont toutefois fait aucune victime, ni provoqué de dégât côté américain, a positivé le porte-parole du Pentagone.
«Le but est de réduire les capacités de ces groupes d’attaquer les forces américaines», justifie Patrick S. Ryder. «Cet objectif flou risque de mener à une dangereuse escalade, voire à une guerre régionale au Moyen-Orient impliquant directement l’Iran», s’inquiète au contraire Trita Parsi, directeur du think tank Quincy Institute. «L’Arabie saoudite a été en guerre contre les houthis pendant sept ans et elle n’a pas réussi à les affaiblir», rappelle-t-il.
Washington tente de marquer une différence entre les attaques en Syrie, en Irak et en mer Rouge avec la guerre à Gaza. «Ce n’est pas le même conflit», disait John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité le 31 janvier dernier, assurant que les attaques contre les bases américaines existaient avant le 7 octobre et que les houthis ne visent pas seulement les navires israéliens mais perturbent tout le commerce maritime vers le canal de Suez. «La question de Gaza est centrale, rétorque Trita Parsi. Les attaques contre les forces américaines ont redoublé depuis le mois d’octobre et elles ont ensuite presque cessé durant la trêve en fin d’année dernière à Gaza. Quant aux houthis, ils ne ciblaient pas les navires en mer Rouge lors de leur guerre contre l’Arabie saoudite.»
D’où la nécessité, selon cet expert d’origine iranienne, de parvenir à un cessez-le-feu à Gaza. «Mais les Etats-Unis le veulent-ils vraiment? Ou souhaitent-ils donner encore du temps à leur allié israélien pour qu’il affaiblisse davantage le Hamas?» interroge-t-il. La poursuite du carnage dans l’enclave met pourtant le président Biden en porte-à-faux avec une partie de l’électorat démocrate et compromet sa réélection en novembre. Pour Trita Parsi, «le mal est déjà fait auprès des jeunes, de la communauté arabe ou des Afro-Américains. Changer de politique ne les fera pas changer d’avis sur le président mais fâchera les soutiens d’Israël.» ■