Le retour de Donald Trump vu d’Europe
Ukraine, OTAN, relations commerciales: un second mandat présidentiel du républicain serait synonyme de nouveaux remous. Mais pour le Vieux-Continent, c’est aussi l’occasion de se montrer plus fort
Quels risques représenterait une réélection de Donald Trump pour l’Europe? A quelques mois de l’élection présidentielle américaine, où le républicain affrontera vraisemblablement Joe Biden dans les urnes, la crainte du retour d’un Trump 2.0, encore plus triomphant, pugnace et fantasque que la première fois, est omniprésente à Bruxelles.
«Une caractéristique clé de Donald Trump, c’est son imprévisibilité, qui est un mal en soi. Mais cette fois, le consensus est qu’un second mandat serait plus radical, plus revanchard que le premier. En cas d’élection, 2024 sera pire que 2016», avertit Laurent Cohen-Tanugi, avocat et essayiste français, membre du conseil d’administration de l’Institut Jacques Delors.
L’Ukraine en première ligne
Le premier risque est sécuritaire. L’Ukraine serait la première victime d’une réélection de Donald Trump. Les Etats-Unis sont les premiers donateurs en termes d’aide financière et militaire à Kiev, or une nouvelle aide est bloquée au Congrès sous l’impulsion des républicains. Mais surtout, Donald Trump ne cesse de vanter qu’il «mettrait fin à la guerre en Ukraine en vingtquatre heures». Avec l’aide de Vladimir Poutine?
«Ce qui compte, c’est que l’Ukraine bénéficie d’un soutien continu, parce que c’est surveillé de près par Pékin», a déclaré Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, sur Fox News lors de son récent déplacement aux Etats-Unis. Si la Russie l’emporte en Ukraine, cela «ne rendrait pas seulement l’Europe plus vulnérable, mais nous tous, y compris les EtatsUnis», avertit-il.
Le tribun républicain menace régulièrement de vouloir quitter l’OTAN. Le commissaire européen en charge du marché intérieur Thierry Breton rappelait récemment que Donald Trump avait déclaré à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen: «Si l’Europe est attaquée, nous ne viendrons jamais vous aider et vous soutenir.» C’était en 2020, au Forum économique mondial de Davos, deux ans avant le début de l’invasion russe de l’Ukraine. Thierry Breton y était.
«Au fait, l’OTAN est morte, et nous allons partir, nous allons quitter l’OTAN», avait ajouté Donald Trump. En décembre dernier, deux sénateurs américains ont toutefois réussi à faire passer au Congrès un amendement qui empêche le président de retirer unilatéralement les Etats-Unis de l’OTAN. Pour Laurent Cohen-Tanugi, le scénario d’un retrait américain semble peu probable. Mais «la priorité de l’Europe doit être de renforcer sa sécurité et ses capacités de défense».
Troisième menace: pour les démocraties libérales. Un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche profiterait aux droites populistes et souverainistes en Europe, qui font des percées dans plusieurs pays et devraient gagner des points aux élections européennes de juin. «Une réélection de Trump enhardira sans aucun doute l’autocratie, le populisme et l’extrémisme dans le monde entier, parce que Trump continuerait à flirter avec les différents autocrates, y compris en Europe», juge Laurent Cohen-Tanugi.
Le Pacte vert, censé assurer la transition écologique de l’UE, pourrait en pâtir. Reste que Joe Biden y est également pour quelque chose, avec son Inflation Reduction Act (IRA), qui prévoit plus de 430 milliards de dollars d’investissements dont 370 milliards pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici à 2030. Les subventions massives américaines menacent l’industrie verte européenne, et entraînent des risques de nouvelles délocalisations.
Un «Armageddon financier»
De nouvelles tensions commerciales pourraient apparaître. Les droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium européens imposés par Donald Trump en 2018 n’ont pas été suspendus, mais ont juste été mis entre parenthèses. L’ex-président a plusieurs fois annoncé qu’il pourrait, s’il était réélu, appliquer une taxe de 10% sur toutes les importations.
«Si vous regardez ce qu’ont été ces années où M. Trump était président des Etats-Unis, il pourrait y avoir des menaces et il pourrait y avoir des problèmes auxquels les Européens devraient se préparer», a concédé Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, lundi dernier sur CNN. «Préparons-nous à d’éventuels droits de douane, à d’éventuelles décisions sévères qui seraient inattendues. Soyons forts chez nous.» Elle évoque clairement une «menace» pour l’Europe.
«Trump va probablement faire baisser le dollar […] Cela signifiera que nos importations libellées en dollars seront plus accessibles [au bénéfice des États-Unis] mais que nos exportations seront pénalisées», écrit l’économiste Bruno Colmant, ex-patron de la bourse de Bruxelles, dans une tribune publiée par Trends-Tendances. «Notre politique monétaire en tient-elle compte? C’est bien d’augmenter les taux d’intérêt, comme la BCE le fait, pour
«Le consensus est qu’un second mandat serait plus radical, plus revanchard que le premier» LAURENT COHEN-TANUGI, AVOCAT ET ESSAYISTE FRANÇAIS
contrer l’inflation, si tout le monde le fait. Or les Etats-Unis baisseront leurs taux d’intérêt. Et puis, qui sait? Trump pourrait très bien conduire les Etats-Unis à un défaut, peut-être partiel, sur la dette extérieure américaine ou refuser la réalité des flux en dollars. Le jour où cela se produit, ce sera l’Armageddon financier», avertit-il.
Tout cela n’est pour l’heure que de la politique-fiction, malgré un air de déjà-vu. Un potentiel retour de Donald Trump au pouvoir peut aussi être anticipé et pousser l’Europe à s’unir et se solidifier. «Si 2024 nous apporte à nouveau l’«America First» (l’Amérique d’abord), ce sera plus que jamais l’Europe seule face à elle-même», admettait récemment devant le parlement européen le premier ministre belge Alexander De Croo, dont le pays assure la présidence tournante de l’UE jusqu’à fin juin. Mais il a aussi ajouté: «En tant qu’Européens nous ne devrions pas craindre cette perspective, mais plutôt l’embrasser en plaçant l’Europe sur une base plus solide, plus forte, plus souveraine et plus autonome.» ■