«J’avais besoin de revenir dans la société»
Le socialiste Théo Huguenin-Elie brigue un nouveau mandat à l’exécutif chaux-de-fonnier, après un arrêt forcé pour soigner un cancer du pancréas. Et se fixe des limites claires à ne pas dépasser
Après trois mois d’absence et une lourde opération pour soigner un cancer du pancréas, le conseiller communal chaux-de-fonnier Théo Huguenin-Elie est revenu aux affaires mi-janvier. Membre de l’exécutif de la métropole horlogère depuis 2012, en charge de l’urbanisme, des bâtiments, des relations extérieures et de la communication, le socialiste a annoncé deux semaines plus tard qu’il se présenterait pour un nouveau mandat lors des élections communales du 21 avril prochain. Entre deux rendez-vous médicaux, le quinquagénaire a accepté de faire le point sur sa maladie, son engagement et les défis qu’il entend relever.
Vous avez repris vos fonctions il y a peu. Qu’en est-il de votre état de santé? Je me sens chaque jour un peu mieux et je suis dans une dynamique positive, tant sur le plan physique que moral. Mes journées sont encore ponctuées de nombreux soins et examens. Je ne suis pas encore à plein régime, mais après trois mois d’hospitalisation j’avais besoin de revenir dans la société. Mes médecins m’ont dit d’être prudent, tout en relevant qu’une reprise douce pouvait contribuer à ma convalescence. Et j’ai la chance de pouvoir compter sur le soutien de mes collègues et de mes équipes, extrêmement compétentes, motivées et engagées.
Un cancer du pancréas, c’est loin d’être anodin. Par quels états d’esprit êtes-vous passé? Pour mes proches et mes trois filles, cela a été beaucoup de tristesse. Mais j’ai une chance inouïe, que j’ai découverte après le diagnostic. A aucun moment je n’ai été saisi par la peur. La foi profonde qui est la mienne et les réflexions philosophiques sur l’existence et sa finitude que je mène depuis longtemps m’ont beaucoup aidé, tous comme les soutiens que j’ai reçus. Tout un chacun, jeune ou vieux, doit vivre avec cette finitude qui génère aussi sans doute le caractère extrêmement précieux de l’existence. J’ai toujours été marqué par Le Mythe de Sisyphe, d’Albert Camus: il faut vivre ici et maintenant.
La décision de reprendre vos fonctions a-t-elle été difficile? Mes réflexions ont été intenses, d’autant plus à l’approche des prochaines élections. Quand on traverse une telle épreuve, on se demande toujours s’il faut revenir, si l’intensité de la tâche a contribué au développement de la maladie. Dans un premier temps je pensais arrêter, puis s’est imposée une évidence: ma passion pour ma ville, pour mon métier, pour mes équipes est intacte. La prochaine législature sera passionnante, avec la volonté de faire de La Chaux-deFonds la première Capitale culturelle suisse, ainsi que de nombreux projets dans mon dicastère, comme la piétonnisation de la place du Marché, la rénovation des anciens abattoirs ou l’ouverture des travaux du contournement routier de la ville. Je brûle de mener à bien ces projets avec mes équipes.
L’annonce de votre candidature aux prochaines élections, mardi de la semaine passée, n’est donc pas précipitée? J’ai choisi de faire un pari positif parce que je me sens suffisamment bien pour le faire. Bien sûr, je dois faire attention à ma santé, mais j’ai le sentiment que je pourrai faire pleinement mon travail durant la prochaine législature.
Si cela devait ne pas être le cas, je me ferais un point d’honneur de céder ma place. Ma décision est facilitée par la présence à mes côtés de colistiers de qualité qui ont les compétences de me succéder en cas de coup dur. C’est rassurant.
Les partis chaux-de-fonniers saluent votre retour mais certains s’inquiètent de savoir si vous pourrez assumer votre charge. Quelles sont les limites que vous vous fixez? Si je devais commencer des traitements oncologiques lourds sur une longue période, qui m’empêcheraient de faire suffisamment bien mon métier, je démissionnerais immédiatement. C’est un gage que je donne. La question de la démission s’est déjà posée en septembre. Face à l’inconnu de la situation, je ne suis pas allé plus loin dans la réflexion. Mais la fonction ne permet pas d’être trop régulièrement absent et de ne pas donner le meilleur de soi-même. On le doit à la population et à nos électeurs.
Que pensent vos proches de cette candidature? J’en ai beaucoup discuté avec mes filles, qui ont 19, 18 et 15 ans. Je leur ai dit que si j’arrêtais j’aurais plus de temps à leur consacrer. Elles m’ont répondu qu’elles étaient assez grandes pour prendre soin d’elles (rires). Elles m’ont encouragé et ont insisté avec beaucoup de gentillesse pour que je prenne soin de moi en cas de reprise.
On connaît votre passion pour la politique et votre engagement pour votre ville. Ce serait difficile pour vous de vous en passer? Non, la politique est une passion parmi d’autres, pas une addiction. Ma vie ne s’arrêterait pas avec la fin de mon engagement à l’exécutif. En cas de réélection, ce sera très probablement ma dernière législature. Après, je pourrai me rediriger vers mon métier initial d’enseignant de français et d’histoire, que j’adore.
Est-ce que la maladie a tout de même remis en cause le temps que vous consacrez à cette activité? Pour l’heure, je ne peux pas faire autrement que de le réduire. Mais une fois que je serai complètement remis, je ne repartirai pas comme avant. La journée qui commence à 8h et se termine à 23h, sans pause à midi, quatre ou cinq fois par semaine, avec encore de la représentation le week-end, c’est fini pour moi. Je devrai trouver le moyen de faire pleinement mon travail en m’organisant autrement. Il y a des limites qu’on devrait s’imposer par rapport à notre passion pour la chose publique.
C’est un message que vous lancez à vos collègues politiciens? Ne comptez pas sur moi pour faire la morale à qui que ce soit. Je n’aurais pas aimé qu’on me la fasse par le passé. J’ai simplement envie de dire aux uns et aux autres de prendre soin d’eux, et naturellement de leurs proches.
Hasard du calendrier, vous avez annoncé votre maladie le 28 septembre, le même jour que la conseillère d’Etat vaudoise Nuria Gorrite annonçait souffrir d’un cancer du sein. Vous avez eu des échanges avec elle durant cette période? Nuria est une enfant de La Chaux-de-Fonds qui milite dans le même parti que moi. Nous nous connaissons bien et nous avons appris le même jour que nous sommes malades. Nous avons eu des échanges épistolaires de soutien durant nos mois d’absence et lorsque nous sommes revenus au travail. J’ai aussi été très attentif à sa manière de communiquer, très ouverte, très transparente, avec beaucoup de hauteur et de pudeur pour toucher juste et donner la bonne information au public. Je m’en suis beaucoup inspiré.
Les politiciens semblent de moins en moins timides à parler de leur état de santé lorsqu’ils affrontent des périodes difficiles. Comment vous l’expliquez? Le rapport de la société à la maladie a changé. C’est plus simple aujourd’hui de parler de quoi on souffre, à commencer par le cancer. La notion de maladie honteuse est en train de disparaître. Il en va de même du rapport à l’information. Avec internet et les réseaux, les attentes de la population sont beaucoup plus fortes pour savoir ce qu’il se passe dans ce qui était auparavant des boîtes noires institutionnelles. Lorsque ces dynamiques se croisent, cela devient une évidence de communiquer, d’autant plus dans un système politique de proximité comme le nôtre.
«J’ai choisi de faire un pari positif parce que je me sens suffisamment bien pour le faire»
Où se situe le juste milieu entre ce que l’on communique ou non? Au moment de l’annonce, je sais que j’ai un cancer du pancréas, mais pas encore ce qu’impliquera le traitement en dehors du fait que je ne pourrai plus travailler. Je ne sais pas si la chirurgie aura lieu immédiatement ni si elle sera suivie de traitements oncologiques. Il était très important pour moi que les collaborateurs et les habitants de la ville comprennent pourquoi un jour ils me voient au match de hockey ou au marché alors qu’en même temps je suis en arrêt de travail. La population sait aujourd’hui ce que cela implique d’avoir un cancer. En tant que politiciens, les absences sont aussi très vite suivies de rumeurs de burnout ou de dépression. Je préférais y couper court. ■