La stratégie vélo vaudoise fâche des paysans
Le canton ne rémunère pas assez les propriétaires expropriés pour la réalisation de pistes cyclables, estiment des agriculteurs. Au Grand Conseil, quatre députés se sont saisis séparément du problème
Un vent de révolte souffle dans le Gros-de-Vaud. Des agriculteurs ont été contraints de céder une partie de leurs terres au canton pour permettre la réalisation d’une piste cyclable au bord de la route cantonale entre Echallens et Goumoëns-la-Ville à des prix jugés dérisoires. L’énervement de ces paysans a retenti jusqu’au Grand Conseil, où trois textes ont été déposés hier alors qu’une motion supplémentaire devrait l’être la semaine prochaine.
Il y a dix jours, Philippe Besson, l’un de ces propriétaires expropriés, déclarait à 24 heures qu’en agissant de la sorte l’Etat se fichait de leur «gueule». «On nous donne entre 3,60 et 4,60 francs le mètre carré. C’est du vol pur et simple, puisqu’il n’existe aucune terre agricole en vente à ce prix-là. On nous réduit donc notre outil de travail sans possibilité de compenser. En plus, c’est de la mesquinerie puisqu’on parle d’un montant total de 10000 francs pour ces expropriations, sur un budget total de 5,4 millions de francs de travaux en prenant en compte la réfection de la route.»
«Ça touche ma région et j’ai pu voir qu’il y avait un mécontentement général» STÉPHANE JORDAN, DÉPUTÉ UDC AU GRAND CONSEIL
«Le tribunal a appliqué la loi»
Se sentant lésés, plusieurs agriculteurs se sont opposés à cette expropriation, en vain. «Le tribunal d’arrondissement a fait son boulot et a simplement appliqué la loi, commente Jean-Luc Bezençon, député PLR et ancien syndic de Goumoëns-la-Ville. Les indemnités ont été établies par la Commission cantonale immobilière qui se base sur le prix de vente de ces terrains, autrement dit la valeur vénale. La Commission ne peut pas aller au-dessus des montants retenus pour défrayer les agriculteurs expropriés qui se montent entre 3,60 francs et 4,60 francs le mètre carré.
Ces chiffres sont conformes aux lois et directives actuellement en vigueur mais il n’en demeure pas moins un sentiment de profonde injustice de la part des propriétaires concernés par ces expropriations.»
Afin de ne pas perdre plus de temps, l’élu libéral-radical a déposé une motion avec prise en considération immédiate et renvoi au Conseil d’Etat, demandant au gouvernement de revoir à la hausse le prix au mètre carré des terrains agricoles «subtilisés aux propriétaires fonciers» en modifiant la législation cantonale en vigueur. Un moyen d’éviter le passage en commission qui retarderait le traitement. Du côté de l’UDC, Stéphane Jordan a également déposé une motion pour dénoncer cette situation. «Ça touche ma région et, renseignements pris, j’ai pu voir qu’il y avait un mécontentement général. Contrairement au canton, quand la Confédération doit utiliser son droit d’expropriation, elle paie trois fois le prix de la valeur vénale aux propriétaires. On peut parler de radinerie.»
Le député UDC dénonce aussi la lenteur des paiements qui peuvent prendre «plusieurs années». Plus tôt dans la séance du jour, son collègue de parti Maurice Treboux avait pointé du doigt, par le biais d’une interpellation, le fait que pour un agriculteur ce revenu extraordinaire découle de sa fortune commerciale alors que pour un propriétaire non exploitant il s’agit d’un revenu de sa fortune privée. «Cela signifie que le paysan devra payer plus d’impôts, regrette le dépositaire. Je demande donc au Conseil d’Etat s’il est possible d’envisager une défiscalisation au nom de l’intérêt public.» Maurice Treboux rappelle toutefois que ce droit d’expropriation est nécessaire pour «continuer à développer de nombreux projets» mais qu’il mérite d’être repensé «afin de préserver au maximum les terres agricoles et que les détenteurs de terrains «soient rémunérés justement».
Garantir des terrains agricoles
A gauche, Didier Lohri (Les Vert·e·s) fait partie des signataires d’une des deux motions et s’apprête à déposer la sienne. «Il y a un sérieux problème avec les terrains agricoles. Ces expropriations sont des mesures à très court terme pour l’agriculteur. Il est surprenant que ces expropriés ne défendent pas avec plus de véhémence leurs terres pour nourrir la population en sachant que c’est une suppression irrémédiable de subventions [les paiements directs, ndlr] qui ne seront jamais indemnisées.» L’écologiste estime qu’il serait préférable de garantir aux paysans des terrains agricoles plutôt que des francs. «Chaque commune est propriétaire de terres agricoles. Ne devrait-on pas offrir l’obligation de compenser la surface expropriée, même si elle est minime, au propriétaire agricole exproprié?»
La question résonnera probablement de manière positive aux oreilles de la gauche. Le président du Parti socialiste vaudois Romain Pilloud l’affirme: «La stratégie vélo ne peut fonctionner que si on collabore étroitement et correctement avec les agriculteurs.» Le député se dit prêt à trouver des solutions pour que les paysans soient mieux rémunérés afin d’éviter de nouvelles oppositions. ■