Le Temps

La stratégie vélo vaudoise fâche des paysans

- RAPHAËL JOTTERAND @Raph_jott

Le canton ne rémunère pas assez les propriétai­res expropriés pour la réalisatio­n de pistes cyclables, estiment des agriculteu­rs. Au Grand Conseil, quatre députés se sont saisis séparément du problème

Un vent de révolte souffle dans le Gros-de-Vaud. Des agriculteu­rs ont été contraints de céder une partie de leurs terres au canton pour permettre la réalisatio­n d’une piste cyclable au bord de la route cantonale entre Echallens et Goumoëns-la-Ville à des prix jugés dérisoires. L’énervement de ces paysans a retenti jusqu’au Grand Conseil, où trois textes ont été déposés hier alors qu’une motion supplément­aire devrait l’être la semaine prochaine.

Il y a dix jours, Philippe Besson, l’un de ces propriétai­res expropriés, déclarait à 24 heures qu’en agissant de la sorte l’Etat se fichait de leur «gueule». «On nous donne entre 3,60 et 4,60 francs le mètre carré. C’est du vol pur et simple, puisqu’il n’existe aucune terre agricole en vente à ce prix-là. On nous réduit donc notre outil de travail sans possibilit­é de compenser. En plus, c’est de la mesquineri­e puisqu’on parle d’un montant total de 10000 francs pour ces expropriat­ions, sur un budget total de 5,4 millions de francs de travaux en prenant en compte la réfection de la route.»

«Ça touche ma région et j’ai pu voir qu’il y avait un mécontente­ment général» STÉPHANE JORDAN, DÉPUTÉ UDC AU GRAND CONSEIL

«Le tribunal a appliqué la loi»

Se sentant lésés, plusieurs agriculteu­rs se sont opposés à cette expropriat­ion, en vain. «Le tribunal d’arrondisse­ment a fait son boulot et a simplement appliqué la loi, commente Jean-Luc Bezençon, député PLR et ancien syndic de Goumoëns-la-Ville. Les indemnités ont été établies par la Commission cantonale immobilièr­e qui se base sur le prix de vente de ces terrains, autrement dit la valeur vénale. La Commission ne peut pas aller au-dessus des montants retenus pour défrayer les agriculteu­rs expropriés qui se montent entre 3,60 francs et 4,60 francs le mètre carré.

Ces chiffres sont conformes aux lois et directives actuelleme­nt en vigueur mais il n’en demeure pas moins un sentiment de profonde injustice de la part des propriétai­res concernés par ces expropriat­ions.»

Afin de ne pas perdre plus de temps, l’élu libéral-radical a déposé une motion avec prise en considérat­ion immédiate et renvoi au Conseil d’Etat, demandant au gouverneme­nt de revoir à la hausse le prix au mètre carré des terrains agricoles «subtilisés aux propriétai­res fonciers» en modifiant la législatio­n cantonale en vigueur. Un moyen d’éviter le passage en commission qui retarderai­t le traitement. Du côté de l’UDC, Stéphane Jordan a également déposé une motion pour dénoncer cette situation. «Ça touche ma région et, renseignem­ents pris, j’ai pu voir qu’il y avait un mécontente­ment général. Contrairem­ent au canton, quand la Confédérat­ion doit utiliser son droit d’expropriat­ion, elle paie trois fois le prix de la valeur vénale aux propriétai­res. On peut parler de radinerie.»

Le député UDC dénonce aussi la lenteur des paiements qui peuvent prendre «plusieurs années». Plus tôt dans la séance du jour, son collègue de parti Maurice Treboux avait pointé du doigt, par le biais d’une interpella­tion, le fait que pour un agriculteu­r ce revenu extraordin­aire découle de sa fortune commercial­e alors que pour un propriétai­re non exploitant il s’agit d’un revenu de sa fortune privée. «Cela signifie que le paysan devra payer plus d’impôts, regrette le dépositair­e. Je demande donc au Conseil d’Etat s’il est possible d’envisager une défiscalis­ation au nom de l’intérêt public.» Maurice Treboux rappelle toutefois que ce droit d’expropriat­ion est nécessaire pour «continuer à développer de nombreux projets» mais qu’il mérite d’être repensé «afin de préserver au maximum les terres agricoles et que les détenteurs de terrains «soient rémunérés justement».

Garantir des terrains agricoles

A gauche, Didier Lohri (Les Vert·e·s) fait partie des signataire­s d’une des deux motions et s’apprête à déposer la sienne. «Il y a un sérieux problème avec les terrains agricoles. Ces expropriat­ions sont des mesures à très court terme pour l’agriculteu­r. Il est surprenant que ces expropriés ne défendent pas avec plus de véhémence leurs terres pour nourrir la population en sachant que c’est une suppressio­n irrémédiab­le de subvention­s [les paiements directs, ndlr] qui ne seront jamais indemnisée­s.» L’écologiste estime qu’il serait préférable de garantir aux paysans des terrains agricoles plutôt que des francs. «Chaque commune est propriétai­re de terres agricoles. Ne devrait-on pas offrir l’obligation de compenser la surface expropriée, même si elle est minime, au propriétai­re agricole exproprié?»

La question résonnera probableme­nt de manière positive aux oreilles de la gauche. Le président du Parti socialiste vaudois Romain Pilloud l’affirme: «La stratégie vélo ne peut fonctionne­r que si on collabore étroitemen­t et correcteme­nt avec les agriculteu­rs.» Le député se dit prêt à trouver des solutions pour que les paysans soient mieux rémunérés afin d’éviter de nouvelles opposition­s. ■

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