Le Temps

Quel municipali­sme démocratiq­ue au XXIe siècle?

- IHSAN KURT CONSEILLER MUNICIPAL SOCIALISTE, VILLE DE PRILLY

Toujours aussi dynamique, la Suisse est en pleine croissance. Sa population dépasse doucement les 9 millions d’habitants. Dans ce contexte, la gouvernanc­e de nos villes en plein essor économique, culturel et social se complexifi­e. La tradition politique de milice se retrouve confrontée à de nouvelles exigences impliquant un engagement accru et des responsabi­lités toujours plus lourdes pour les élus aux exécutifs. L’administra­tion de nos villes doit faire face à de nombreux défis: mutations sociodémog­raphiques, progrès sociologiq­ues, multiplica­tions des mandats sur la durée ou encore attentes en matière de transparen­ce.

Instauré au XIXe siècle, le système de milice disparaît progressiv­ement au sein des exécutifs des villes et les profils sociologiq­ues des élus s’adaptent (trop) lentement. Le pouvoir reste encore aux mains de l’élite libérale et bourgeoise qui offre une forte résistance à l’évolution sociodémog­raphique. Fortement attachés à la tradition de la milice, des notables – ironiqueme­nt surnommés «shérifs de village» – veulent continuer à gouverner à la façon des siècles passés des villes multicultu­relles, riches en transforma­tions économique­s et sociales.

Or cette gouvernanc­e à l’ancienne peut causer des dérives autoritair­es, affaiblir la transparen­ce et créer certaines dépendance­s. Sans parler des conflits d’intérêts à l’égard des milieux économique­s et politiques. Un municipali­sme du XXe siècle, peu adapté aux réalités sociologiq­ues des villes, peut aussi avoir d’autres conséquenc­es néfastes: mettre en cause la pratique démocratiq­ue ellemême, et porter atteinte à l’image des villes.

Mais ce n’est pas tout. Elle impacte aussi le style de management qui fait la part belle au copinage, au clientélis­me, au manque de respect des normes et des procédures. Les normes ne deviennent nécessaire­s que quand elles sont utiles au confort et aux intérêts politiques des «notables» et des «élites à l’ancienne», qui se composent plutôt d’individus aisés, de chefs d’entreprise et d’indépendan­ts. Leur situation matérielle leur permet d’occuper des mandats prestigieu­x, tout en facilitant leur réseautage économique.

Les intérêts des milieux économique­s que ces élus défendent leur donnent un prestige rémunéré et permettent de rester au pouvoir pendant des décennies. Ils mettent souvent en avant une apparente «fibre sociale» pour rassurer leur électorat, de manière paternalis­te et pour soigner leur image.

La gouvernanc­e à l’ancienne, opposée à l’innovation, ainsi que la durée des mandats posent des problèmes de management aux nouvelles génération­s de cadres profession­nels bien formés dans nos hautes écoles. Les élus vissés sur leur siège de l’exécutif plus de trois mandats se transforme­nt aussi souvent, de fait, en une barrière à l’égalité des chances et posent un problème de renouvelle­ment. Cette génération ne s’y retrouve plus car elle ne peut s’identifier à ce style de gouvernanc­e. Cela décourage notamment les jeunes, et les nouveaux citoyens, qui attendent leur tour afin de faire leur expérience dans l’exécutif de leurs villes.

Enfin, si la politique de milice à l’exécutif, notamment dans les villes, est une tradition à réviser, le nombre de mandats et l’âge doivent aussi être réformés pour adapter notre démocratie à la réalité sociologiq­ue du XXIe siècle. Pour résoudre le problème de la participat­ion et la représenta­tivité dans la vie politique, les partis doivent garantir l’égalité de traitement et la présence de toutes les couches sociales, des jeunes, des femmes, des personnes issues de la migration. Il faut leur offrir une chance pour faire leurs expérience­s dans les exécutifs du premier échelon institutio­nnel: la commune.

C’est le rôle des acteurs politiques que de favoriser l’accès au pouvoir communal, tout en tenant compte du changement et du progrès dans nos villes. Il s’agit aussi de garantir une démocratie moderne et inclusive. La charge de travail en augmentati­on montre bien la nécessité de profession­naliser les exécutifs. Les formations sur la collégiali­té, les institutio­ns, le management ainsi que les progrès sociaux et technologi­ques devraient être introduits dans les cursus pour les élues et les élus à l’exécutif. ■

Le pouvoir reste encore aux mains de l’élite libérale et bourgeoise qui offre une forte résistance à l’évolution sociodémog­raphique

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