A Genève, la guerre fiscale reprend de plus belle
Alors que les fronts se multiplient et que se profile une bataille sur la baisse programmée de l’impôt sur le revenu, la gauche annonce un référendum contre la révision de la taxation de l’outil de travail en faveur des entrepreneurs
C’est un classique en début de législature, surtout à Genève. La nouvelle majorité bande ses muscles et l’opposition montre qu’elle ne se laissera pas faire. La grève en cours des enseignants du cycle d’orientation l’illustre.
Le front fiscal n’est pas en reste: lundi, deux formations de l’extrême gauche, éjectée le printemps dernier du Grand Conseil, ont annoncé un référendum contre la révision de la fiscalité de l’outil de travail. Comme il s’agit d’impôt, 500 signatures suffisent et il n’y a guère de doute que la démarche de l’Union populaire et de SolidaritéS aboutira.
Cette réforme, chère à la droite et aux milieux économiques, fait partie du programme du Conseil d’Etat, qui l’a déposée un mois après son entrée en fonction, le 1er juin. Elle consiste à alléger la taxation perçue, à travers l’impôt sur la fortune, sur les actions non cotées à la bourse d’une personne ayant investi dans sa propre entreprise. Celle-ci doit cependant constituer sa principale activité. Précisons aussi que ce patrimoine n’est pas disponible sous forme de liquidités, comme pourrait l’être une action Nestlé ou Roche que l’on peut vendre quand on le souhaite.
Malgré cela, le système actuel prévoit une imposition sur la base d’une valeur dite «latente», dépendant de résultats futurs, hypothétiques par nature. Cette définition est établie au niveau national par la Conférence suisse des impôts. Mais les cantons peuvent adapter les barèmes. Ce que font tous les romands, sauf Berne et Genève, souligne le rapport du Grand Conseil.
Un «bol d’air»
En juin, la ministre genevoise des Finances, Nathalie Fontanet, a donc proposé une baisse de l’impôt sur la fortune relatif à ces actions, à condition que la personne détienne au moins 10% du capital de la société. Une nette majorité du Grand Conseil a approuvé en janvier ce projet de loi. La solution retenue prévoit que les dix premiers millions de capital bénéficieront d’un abattement de 80%, le surplus de 40%. Une fortune de 20 millions est ainsi prise en compte à hauteur de 6 millions (2 + 4).
L’ensemble générerait une perte de recettes estimée à 25,4 millions de francs pour l’Etat de Genève et d’environ 5 millions de francs pour les communes.
Ce que le président du Conseil d’Etat, Antonio Hodgers, avait jugé «tout à fait admissible». Ce montant doit être considéré «au regard de ce que représente la totalité de l’impôt sur la fortune» – qui s’est élevé à un peu plus d’un milliard de francs en 2022 –, précise Nathalie Fontanet.
La réforme de la fiscalité de l’outil de travail générerait une perte de recettes estimée à 25,4 millions de francs pour l’Etat de Genève et de 5 millions pour les communes
Comme souvent, les promoteurs de la réforme soutiennent que cette somme sera largement compensée par ses effets vertueux, découlant des créations d’emplois et de l’encouragement à l’investissement. A l’issue du vote, Vincent Subilia, directeur général de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG), avait salué ce «bol d’air pour les entrepreneurs». Pour Nathalie Fontanet, il s’agit aussi d’«atténuer une double imposition du capital et de la fortune» et de «corriger un déséquilibre, afin de maintenir la prospérité de notre canton et valoriser l’entrepreneuriat».
Naturellement, l’Union populaire et SolidaritéS ne l’envisagent pas ainsi, y voyant une énième manoeuvre du PLR, «principal représentant des multimillionnaires de ce canton». «Il n’y a aucune raison d’offrir un tel cadeau», insiste Pierre Vanek. Il rappelle que ces mêmes actionnaires, possédant au moins 10% du capital de leur société, bénéficient déjà d’un abattement de 40% sur les dividendes qu’ils perçoivent. Et que par ailleurs, les mêmes ont aussi profité, il y a deux ans, d’un changement favorable du mode de calcul à l’échelle nationale.
«35 centimes par jour»
D’après le Département des finances, 4240 entrepreneurs sont concernés par la révision. Le diable se cachant dans les détails en matière fiscale, l’économie d’impôt est très inéquitablement répartie, relève l’Union populaire. Sur les recettes perdues pour l’Etat, 45% profiteraient à 23 patrons disposant d’au moins 30 millions de francs de capital; leur imposition diminuerait de 500 000 francs en moyenne. Alors que la majorité des autres, au nombre de 2328, n’y gagnerait que «35 centimes par jour», persifle Pierre Vanek. Ou 1% de la manne.
Le Parti socialiste et Les Vert·e·s soutiendront-ils le référendum? Ils n’ont pas encore formellement décidé, mais c’est probable, font-ils savoir, notant que la loi participe à l’entreprise «de démontage de l’impôt sur la fortune». En revanche, il n’est pas certain qu’ils engagent toutes leurs forces dans cette bataille. Leurs ardeurs ont peutêtre été tempérées par la succession de défaites enregistrées l’an dernier, comme sur les dividendes ou la taxation des immeubles. D’autant que se profile à l’horizon une réduction de l’impôt sur le revenu, à la suite du projet de loi déposé en janvier par la droite élargie. Son éventuelle adoption aurait des conséquences bien plus importantes pour les finances publiques.
Par ailleurs, les partis de gauche doivent sans doute choisir leurs combats. Car au-delà de la fiscalité, les fronts se multiplient depuis le début de la législature. Rien que lors de la session de janvier du Grand Conseil, trois référendums ont été annoncés. Celui sur l’outil de travail, donc, mais aussi ceux sur la non-réintégration des fonctionnaires licenciés à tort ou sur la diminution de quatre à trois ans de la formation des enseignants de l’école primaire.
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