La pharma suisse mise résolument sur la lutte contre le cancer
Avec le rachat de l’allemand MorphoSys pour 2,5 milliards de francs, Novartis conforte son portefeuille dans l’oncologie. Depuis deux décennies, le géant bâlois et son concurrent Roche mènent l’innovation dans ce domaine
Pour renforcer son portefeuille oncologique, Novartis a annoncé ce mardi l’acquisition de l’allemand MorphoSys pour 2,5 milliards de francs. Les deux entreprises collaboraient déjà depuis plusieurs années. Avec ce rachat, le géant bâlois s’empare notamment du pélabrésib, un traitement en phase finale de développement clinique contre la myélofibrose, un cancer rare qui touche la moelle osseuse et perturbe la production de cellules sanguines.
Dans certains domaines thérapeutiques en vogue, comme l’obésité et alzheimer, Roche et Novartis ont un train de retard. Mais ces deux dernières décennies, elles se sont positionnées en tête de l’innovation dans la lutte contre le cancer. Selon une étude de l’Office européen des brevets (OEB) parue le 1er février, entre 2002 et 2021, Roche et Novartis ont respectivement déposé 3219 et 2060 familles de brevets internationales. En comparaison, sur la même période, le troisième, le néerlandais Philips (spécialisé dans le diagnostic) en a enregistré 2007, suivi de Pfizer et Bayer avec respectivement 1595 et 1532.
Le même jour, l’Organisation mondiale de la santé indiquait qu’en 2022 le nombre de nouveaux cas de cancer dans le monde s’est élevé à environ 20 millions tandis que la maladie a causé 9,7 millions de décès. En 2050, le nombre de nouveaux cas devrait s’élever à 35 millions. Dans un marché de l’oncologie estimé à plus de 180 milliards de dollars, Roche fait figure de leader depuis longtemps, mais l’étude de l’OEB met en évidence ce poids.
Recherche fondamentale
Depuis 2015, le nombre d’innovations dans le cancer a augmenté de 70%, indique l’office européen. Une augmentation particulièrement sensible dans les traitements en développement, mais aussi dans les outils de diagnostic. «Cette accélération va de pair avec de nouveaux modèles d’innovation, moins en silo, avec une seule entreprise à la manoeuvre, souligne Yann Ménière, économiste en chef à l’OEB. L’innovation est plus systémique, partant de la recherche fondamentale, puis passant par des start-up avant de rejoindre les grands groupes.» Cette tendance s’illustre avec l’arrivée de l’Université de Californie et l’organisme public de recherche français Inserm parmi les principaux émetteurs de brevets entre 2017 et 2021.
En tête des familles de brevets internationales pour ce qui est des traitements, Roche apparaît aussi en bonne place pour les innovations dans le diagnostic. Mais si son siège se trouve à Bâle, 45% des enregistrements émanent de ses entités américaines. «L’adresse des émetteurs de brevets peut avoir des limites car elle dépend de la stratégie d’enregistrement du groupe, précise l’économiste. Mais il est clair pour Roche que la R & D se fait via des filiales acquises aux Etats-Unis et qu’elle a su saisir le boom qui a eu lieu là-bas.
Dans le domaine préclinique, ils sont responsables de plus de la moitié des investissements publics.»
Pour Novartis, la trajectoire est un peu différente. Si sur les deux dernières décennies, le concurrent de Roche apparaît en seconde position, il arrive dixième entre 2017 et 2021. Contrairement à son voisin bâlois, Novartis est aussi moins présente dans le domaine du diagnostic. «Je
En 2022, le nombre de nouveaux cas de cancer dans le monde s’est élevé à 20 millions tandis que la maladie a causé 9,7 millions de décès
pense qu’il faut être prudent. Il s’agit moins d’une tendance à une baisse de l’innovation que d’une stabilisation, comme chez d’autres grands groupes pharmaceutiques, qui illustre cette idée de basculement vers un écosystème plus large», ajoute Yann Ménière. Des acteurs comme Pfizer ou Bayer ont aussi vu leur activité en nombre de brevets dans l’oncologie diminuer.
Pôle
Roche et Novartis ont toutes deux publié des résultats en demi-teinte pour 2023, mais pour l’une comme l’autre, le champ du traitement des cancers occupe une place centrale. Pour cet exercice, parmi les dix médicaments les plus vendus par Novartis, cinq ont trait à l’oncologie. Ce domaine a enregistré un chiffre d’affaires de 13,6 milliards de dollars (11,9 milliards de francs) sur un total de ventes de 45,4 milliards de dollars en 2023.
L’an passé, le laboratoire a aussi publié des données indiquant que le Kisqali, un médicament déjà sur le marché pour le traitement de cancers du sein avancés, réduisait aussi le risque de récidive d’un peu plus de 25% chez des patientes diagnostiquées à un stade précoce. Lors de sa réorganisation pour recentrer ses activités sur les traitements innovants, Novartis a fait des tumeurs solides un de ses cinq axes de développement thérapeutique. Le laboratoire mise notamment sur les thérapies par radioligands, une forme ciblée de traitement du cancer qui permet de viser certaines cellules sans porter atteinte aux tissus sains.
Chez Roche, l’oncologie est aussi, et de loin, la première source de revenus avec 19 milliards de francs enregistrés pour les traitements sur un total de 58,7 milliards en 2023, soit environ un tiers du chiffre d’affaires sans compter les activités de diagnostic. Début janvier, le laboratoire bâlois a obtenu un feu vert des autorités pour une version en injection cutanée de son Tecentriq, un anticancéreux administré jusqu’à présent sous forme de perfusion. Avec son activité de diagnostic, Roche axe particulièrement son développement sur la mise au point d’immunothérapies personnalisées. Depuis son émergence avec la pandémie, l’ARN messager fait également partie des technologies qui sont étudiées de près dans le traitement du cancer, notamment par Moderna et BioNTech.
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