«La Salle des profs»: je dénonce, donc je suis
CINÉMA Avec son quatrième long métrage, le jeune réalisateur germano-turc Ilker Çatak met en scène un oppressant huis clos en milieu scolaire. Ou comment une affaire de vol va déclencher une succession de profonds conflits
Deux élèves, à peine entrés dans la préadolescence, sont interrogés par deux enseignants: savent-ils lequel de leurs camarades est un voleur? «Cette conversation restera entre nous», promettent-ils en faisant tout pour obtenir une dénonciation, même tacite… «Vous avez le droit de ne rien dire», tempère leur prof de classe, Carla Nowak, qui assiste à la scène.
L’affaire finira par une fouille générale des affaires personnelles des garçons, comme si une fille ne pouvait pas être coupable, et voici un gamin d’origine turque incriminé pour avoir un peu trop d’argent sur lui. Aurait-il été suspecté si ses parents étaient Allemands? Carla est scandalisée, avant d’entrer à son tour dans le petit jeu de la délation.
Décidant de mener sa propre enquête, elle soupçonne une collègue. Ses accusations vont alors être l’élément déclencheur d’un conflit entre le corps enseignant, les élèves et leurs parents.
Montrer, sans tomber dans la démonstration
Né à Berlin, scolarisé entre l’Allemagne et la Turquie, Ilker Çatak explique avoir élaboré La Salle des profs à partir d’une histoire en partie vécue, et dans l’idée de faire de l’école un miroir de la société. Forcément, le climat délétère qui s’installe dans la salle des maîtres comme dans la classe de Clara rappelle très vite les pages les plus sombres de l’histoire allemande.
Très habilement, alors que d’autres auraient peut-être cédé à la tentation de psychologiser le personnage en le filmant par exemple dans sa vie privée, le réalisateur ne quitte jamais – ou presque – l’enceinte du collège, renforçant l’idée de huis clos par l’utilisation d’une image carrée enfermant les protagonistes dans le cadre.
Sans jamais verser dans la démonstration, le film parvient à montrer de manière spectaculaire comment ce qui est a priori une bonne intention (disculper un innocent) va rapidement aboutir à une perte de contrôle totale, chaque personne devenant instantanément son propre juge.
Les réseaux sociaux sont absents du récit, mais forcément on y pense aussi.
Leonie Benesch, jadis repérée dans Le Ruban blanc de Michael Haneke et au coeur de la série Babylon Berlin et Le Tour du monde en quatre-vingts jours, donne à Clara une passionnante ambiguïté. La Salle des profs fait partie des cinq finalistes à l’Oscar du meilleur film international, et ce n’est pas une surprise.
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La Salle des profs (Das Lehrerzimmer), d’Ilker Çatak (Allemagne, 2023), avec Leonie Benesch, Michael Klammer, Rafael Stachowiak, Leo Stettnisch, 1h39.