Pour en finir avec le «Vieux-Pays»
C’est un texte qui divise le Valais. La partie germanophone du canton s’estime oubliée. L’économie s’étrangle de la place accordée à l’Etat, jugée démesurée.
Bien qu’accepté en avril 2023 à 68,5% par les constituants qui l’ont concocté, le projet de Constitution soumis au vote le 3 mars prochain ne fait pas que des heureux. Loin de là. En cas de refus, cinq ans de travaux seraient jetés aux oubliettes. L’enjeu est pourtant important, ce projet étant amené à remplacer le texte fondateur du canton datant de 1907.
Même si elle a souvent été remise au goût du jour – la dernière modification remontant à 2020 –, l’actuelle Constitution n’est plus d’actualité. L’attachement viscéral à la terre, imprégnant l’actuel texte, est en décalage avec le Valais de 2024.
Les priorités d’aides financières du canton sont-elles toujours l’élevage du bétail, l’industrie laitière ou encore l’économie alpestre? A l’heure où les églises se vident, la religion doitelle conserver une place considérable au point que la Constitution précise que «nul ne peut être distrait de son juge naturel»? Alors que la troisième correction du Rhône vise à redonner de la liberté au fleuve, l’Etat doit-il toujours contribuer par des subsides à son «diguement»?
Et qu’en est-il des défis actuels? Le texte en vigueur ne dit rien de l’environnement et de sa protection, à l’heure où le Valais se trouve aux premières loges du changement climatique. Aucun mot non plus sur la protection des données des citoyens, dans un monde ultraconnecté. L’innovation et la technologie sont également aux abonnés absents, alors que le canton se définit lui-même comme un véritable pôle en la matière, grâce à ses instituts de recherche ou ses hautes écoles.
Le projet issu des travaux de la Constituante n’est certainement pas parfait. Il existe sûrement autant de raisons de le refuser que de gens qui vont glisser un non dans l’urne. Mais, comme pour le texte actuel modifié plus de 150 fois depuis son entrée en vigueur, il évoluera, au fil des décennies et de la transformation de la société.
Même si les craintes des opposants doivent être entendues – et pourront être prises en compte lorsque le Grand Conseil se penchera sur la mise en application de ce nouveau texte –, elles ne doivent pas être un frein pour ce projet, voulu par une grande majorité de Valaisans en 2018.
S’opposer au texte, c’est refuser de voir que le monde évolue. Et que le Valais, engoncé au milieu de ses sommets de 4000 mètres, n’est pas un îlot qui fait exception.
La section cantonale romande du parti a laissé la liberté de positionnement à ses membres. Corollaire: trois d’entre eux se retrouvent dans le comité de soutien au texte et cinq dans celui qui s’y oppose. Le vote des sympathisants jouera un rôle important, le 3 mars
Il aura été durant des décennies le parti qui a dominé et façonné le Valais, lui qui jusqu’en 2013 détenait la majorité des sièges au Grand Conseil. Et il pourrait bien être également l’un des acteurs décisifs de ce que sera le Valais de demain. Les votes des sympathisants du Centre joueront un rôle important dans le résultat de la votation du 3 mars prochain, sur le projet de nouvelle Constitution cantonale. Ni dans le camp des partisans, qui regroupe tous les formations politiques des Vert·e·s au PLR, ni dans celui des opposants, mêlant l’UDC, l’économie et la grande majorité du Haut-Valais – estimant que le texte est une attaque frontale contre leur région –, Le Centre du Valais romand a choisi de ne pas choisir et de laisser la liberté de positionnement. Et cela se matérialise dans les différents comités de campagne: trois de ses membres chez les partisans du texte et cinq chez les opposants.
Des convictions «inconciliables sur ce projet»
Au sein du parti, la campagne a commencé début septembre déjà. En réponse à une interpellation urgente des centristes haut-valaisans, le conseiller d’Etat Christophe Darbellay détaille devant le parlement le coût que pourrait engendrer l’acceptation du texte: plusieurs dizaines de millions de francs. S’il ne le dit pas, on sent le ministre peu favorable au projet. Les prises de position s’enchaînent ensuite à la fin du mois de novembre. Le 25, la jeunesse du Centre communique son net rejet du texte, estimant que «ce projet de nouvelle Constitution n’apporte aucune plus-value à notre canton». Cinq jours plus tard, c’est la section de la région de Sierre qui se prononce à près de 80% contre le texte. Pourtant, sur les 26 constituants du Centre du Valais romand, 20 se sont prononcés en faveur du texte, lors du vote final devant le plénum.
Les premières banderilles sont donc plantées, lorsque le conseil de parti se réunit début décembre. A la question de savoir s’il acceptait le projet de Constitution sans le droit de vote des étrangers – cet article faisant l’objet d’une variante soumise au vote –, il répond par 24 oui, contre 21 non et 8 abstentions. Après environ deux heures d’un débat nourri, ce qui en fait l’un des conseils de parti les plus longs de
«Sur cet objet, les fronts sont clairs. Il n’y a pas de juste milieu» VINCENT ROTEN, ANCIEN CHEF DE GROUPE DU CENTRE AU PARLEMENT VALAISAN
ces dernières années. Même s’il penche en faveur du texte, le vote n’est pas suffisamment net pour trancher. Constatant que les convictions de ses membres et élus étaient «inconciliables sur ce projet», Le Centre Valais romand a ainsi décidé de laisser «à chacun la liberté de s’exprimer et de faire campagne».
Et c’est ainsi la composition même de la formation qui saute aux yeux, lui qui couvre un large spectre de l’échiquier politique, allant du centre gauche à la droite conservatrice. «Sur cet objet, les fronts sont clairs. Il n’y a pas de juste milieu», souligne Vincent Roten, ancien chef de groupe du parti au parlement cantonal et membre du comité des opposants au texte. L’aile de gauche est en faveur du projet de Constitution soumis au peuple et celle de droite en défaveur. Pour Vincent Roten, «la thématique de la votation est tellement large, qu’il est légitime d’avoir des divergences de point de vue». Il ajoute: «Il est important que l’on puisse les exprimer. Le pire aurait été que cela ne soit pas le cas.»
Un avis partagé par Marie Zuchuat, co-cheffe de groupe au sein de la Constituante et membre du comité du oui. «C’est ce qui fait le charme de notre parti, qui porte bien son nom, souligne-t-elle. Il est normal qu’il y ait des avis divergents, surtout quand il s’agit d’un sujet aussi fondamental qu’un projet de nouvelle Constitution. Cette liberté de penser et d’action est une chance. On a les coudées franches pour faire campagne.» Et la vice-présidente du Centre du Valais romand de rappeler que ce n’est pas la première fois que sa formation est divisée. «Les débats ont été plus émotionnels lors des campagnes concernant le mariage pour tous ou la loi cantonale sur la fin de vie. Mais ces objets nous ont montré que si, à l’interne des instances du parti, les votes étaient serrés, ils ont été largement plébiscités au sein de la population.»
En débat, des centristes face à des centristes
La campagne a tout de même un goût particulier. Dans les débats, des centristes peuvent se retrouver face à des centristes. «Je le vis bien, car les débats sont toujours cordiaux», sourit Kamy May. La co-cheffe de groupe au sein de la Constituante et partisane du texte a pu constater qu’il n’existe pas de clivage idéologique, mais plutôt des inquiétudes régionales, qui se renforcent en remontant le Rhône. «Je peux entendre certaines craintes, même si elles sont infondées pour moi», appuiet-elle, rappelant que Le Centre appartient aux partis qui ont remporté le plus de votes lors des cinq années de travaux.
Dans le camp opposé, Damien Luisier, le coprésident des jeunes du Centre du Valais romand, indique que ces débats entre membres d’une même formation sont «motivants et freinants à la fois». «Cette dualité crée une saine émulation entre nous, car tout le monde souhaite gagner cette votation, mais elle nous freine également, car il faut préserver l’unité du parti et ne pas le faire exploser.» Les mots sont lancés. Cette campagne peut-elle laisser des traces à l’interne du plus grand parti du canton? Tous nos intervenants pensent que ce ne sera pas le cas. Et tous se rallient aussi pour dire que cela aurait été différent si un mot d’ordre avait été arrêté plutôt que de laisser la liberté de vote.
Président du Centre du Valais romand, pour quelques semaines encore, Joachim Rausis assure que sa formation «ne se réveillera pas, le 4 mars prochain, avec la gueule de bois en raison du résultat». «Je n’ai pas l’impression que cette situation pose problème à l’interne. Chacun vote en son âme et conscience», dit-il. Pour lui, Le Centre ne jouera pas le rôle de point de bascule. «Environ 10% des Suisses sont affiliés à un parti. On ne peut donc pas dire que les mots d’ordre ont une réelle influence sur une votation… Si, le 3 mars, c’est le oui ou le non qui l’emporte, ce ne sera pas grâce ou à cause du Centre du Valais romand.» Mais le Centre aura joué un rôle non négligeable. ■