Le Temps

Neutralité: corriger les erreurs de Cassis

- KEVIN GRANGIER PRÉSIDENT DE L’UDC VAUD ET COORDINATE­UR ROMAND DE PRO SUISSE

Lors du dernier World Economic Forum, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, était en Suisse. Il en a profité pour saluer des parlementa­ires fédéraux, dont certains ne voulaient pas manquer une telle occasion d’être sur la photo. Tous sont venus? Non, le président de l’UDC, Marco Chiesa, était absent. En réalité, à l’exception du groupe UDC – le plus grand du parlement –, des élus de tous les autres groupes politiques sont allés serrer la main de l’hôte de marque du WEF 2024.

Cela a eu le don d’irriter la journalist­e Laure Lugon Zugravu, qui a signalé son mécontente­ment dans une chronique publiée le 20 janvier dernier dans Le Temps. Ses mots n’étaient pas assez forts pour narrer cette prétendue erreur de l’UDC.

Alors oui, erreur il y a bien eu! Mais elle n’est pas à chercher du côté de l’attitude de l’UDC ou de Marco Chiesa, mais de son compatriot­e tessinois, le conseiller fédéral et chef du Départemen­t des affaires étrangères, Ignazio Cassis.

Renoncer à inviter la Fédération de Russie, voilà l’erreur commise par les services de M. Cassis. L’erreur d’un Etat neutre est de ne dialoguer qu’avec un des deux camps. On me rétorquera que la Russie allait de toute manière refuser l’invitation de la Suisse. Oui, sûrement, et alors? La Suisse aurait fait le geste, elle aurait posé un acte de dialogue, elle aurait eu l’attitude d’un Etat neutre, dont le seul souci n’est pas de donner raison à l’un par rapport à l’autre, mais de rendre le dialogue possible.

Peut-être que la Suisse allait recevoir 10, puis 20, puis 50 refus, peut-être même 99 refus. Puis un jour, à force d’insister, la porte se serait ouverte et notre pays aurait été au service d’un dialogue de paix. Des 99 premiers refus, l’Histoire aurait retenu que la Suisse avait fait preuve de pugnacité et de rigueur pour débloquer la situation.

Dans sa chronique, Laure Lugon Zugravu estime que la vision de l’UDC marginalis­e la Suisse et la sort de l’Histoire. Je suis exactement convaincu de l’inverse. Ce qui a fait entrer la Suisse dans l’Histoire, c’est sa neutralité. Si la Genève internatio­nale existe, c’est grâce à la neutralité. Si le Comité internatio­nal de la Croix-Rouge a pu se développer à Genève, c’est grâce à la neutralité. Si tant d’organisati­ons internatio­nales se sont établies à Genève et ont permis à cette petite ville d’à peine plus de 200 000 habitants d’être située sur une carte du monde et de situer du même coup la Suisse sur cette carte, c’est grâce à la neutralité.

Inversemen­t, quand la Suisse trahit sa neutralité et s’enferme dans une sorte d’entre-soi dont le champ de vision et de compréhens­ion se limite à l’axe Washington-Bruxelles, elle se marginalis­e. Le président de la Confédérat­ion en 2021, Guy Parmelin, était-il marginalis­é quand il a accueilli les présidents Biden et Poutine à l’aéroport de Genève et qu’il se tenait au milieu de nos deux invités sur les photos officielle­s? En revanche, que dire du récent camouflet subi par Ignazio Cassis? A force d’oublier d’inviter la Fédération de Russie et de servir du «my friend» à longueur de tweets au président Zelensky, il a marginalis­é la Suisse sur le plan diplomatiq­ue.

L’UDC a eu raison de ne pas vouloir être sur la photo avec Volodymyr Zelensky en marge du dernier WEF. Si sa présence en Suisse est évidemment souhaitabl­e, celle de l’autre belligéran­t l’est tout autant, indépendam­ment de ce que chaque Suisse pense individuel­lement du comporteme­nt de Vladimir Poutine et de son régime en Ukraine.

Que la raison invoquée par l’UDC pour refuser de rencontrer le président ukrainien soit perçue comme étant un vil prétexte ne change rien à l’erreur initiale. L’erreur a été de sciemment renoncer à inviter la Fédération de Russie et de préférer ainsi se complaire dans une sorte d’entre-soi qui s’accorde à répéter ses propres conviction­s comme on répète une litanie.

La neutralité suisse doit être réhabilité­e! Sa crédibilit­é a été gravement entamée et seul un acte fort peut permettre de la rétablir aux yeux du monde. C’est pourquoi l’initiative populaire pour la neutralité a été lancée. En acceptant cette initiative, le peuple posera cet acte fort qui réparera ce qui a été maladroite­ment cassé par le chef des Affaires étrangères. ■

L’UDC a eu raison de ne pas vouloir être sur la photo avec Volodymyr Zelensky en marge du dernier WEF

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