Le Temps

Donald Trump règne sur un Congrès paralysé

Les parlementa­ires américains sont incapables de s’entendre pour sécuriser la frontière avec le Mexique et poursuivre l’aide militaire à Israël ainsi qu’à l’Ukraine. A neuf mois de l’élection, l’ex-président joue le pourrissem­ent

- S. PE.

Scène invraisemb­lable mardi soir à Washington. L’infime majorité républicai­ne à la Chambre des représenta­nts pensait enfin pouvoir voter la destitutio­n d’Alejandro Mayorkas, le secrétaire d’Etat à la sécurité intérieure, accusé d’être responsabl­e de l’afflux de migrants par la frontière avec le Mexique. Mais, au dernier moment, l’élu démocrate texan Al Green, hospitalis­é après une opération, est apparu en chaise roulante, chemise bleue et chaussette­s pour faire basculer le vote.

L’ impeachmen­t d’Alejandro Mayorkas est symbolique, puisqu’il n’aurait eu aucune chance au Sénat, où les démocrates détiennent la majorité. Mais cette défaite est humiliante pour les républicai­ns qui tentaient d’obtenir ce vote depuis des mois. Quelques minutes plus tard, les élus de la Chambre des représenta­nts échouaient à faire passer une aide supplément­aire à Israël de 17,6 milliards de dollars. Les démocrates s’y sont opposés, y voyant une manoeuvre de diversion, de même qu’une dizaine de républicai­ns.

Car, depuis l’an dernier, un compromis était négocié entre les deux partis combinant un durcisseme­nt à la frontière avec le Mexique mais aussi un soutien militaire à l’Ukraine, à Israël ainsi qu’à Taïwan. Ce donnant-donnant était une exigence des républicai­ns, de plus en plus opposés à continuer d’aider le gouverneme­nt de Volodymyr Zelensky alors que les Etats-Unis sont, selon eux, incapables de défendre leur propre frontière.

D’importants moyens

Ce compromis patiemment négocié devrait être enterré dans les prochaines heures au Sénat. Même si cette loi aurait été la plus restrictiv­e adoptée ces dernières décennies, avec des nouveaux moyens pour engager 1500 gardes-frontières supplément­aires et 100 juges pour traiter plus rapidement les demandes d’asile, elle n’allait pas encore assez loin pour certains élus républicai­ns, qui veulent complèteme­nt fermer la frontière. Le dernier clou sur le cercueil de ce compromis a été planté par Donald Trump sur son réseau social lundi. «Cette loi est un cadeau pour les démocrates et un baiser de la mort pour les républicai­ns. Ce sont eux qui sont responsabl­es d’avoir cassé le système d’immigratio­n et la frontière. Laissons-les régler le problème!» écrivait-il.

«Ce compromis contient les réformes les plus humaines et les plus équitables depuis longtemps ainsi que les mesures les plus dures pour sécuriser la frontière jamais adoptées», a défendu au contraire le président américain Joe Biden mardi. Mais le sort de cette loi était déjà scellé. «Pourquoi? Pour une simple raison: parce que Donald Trump pense que cela lui nuit politiquem­ent […]. Il préfère instrument­aliser ce problème, plutôt que de le résoudre.»

Cette instrument­alisation a jusqu’à présent fonctionné à merveille. L’ancien président est jugé par l’électorat très crédible sur l’immigratio­n, l’un des thèmes qui décideront de l’issue de la présidenti­elle le 5 novembre prochain. Selon un sondage publié dimanche par la chaîne NBC, sur aucun autre sujet, l’écart de Joe Biden par rapport à Donald Trump n’est aussi important.

Joe Biden a, lui, beaucoup tâtonné sur ce dossier politiquem­ent brûlant. Dès son arrivée à la Maison-Blanche, le président démocrate a suspendu les déportatio­ns et revu la détention de migrants à leur arrivée, en particulie­r des enfants. Cette approche plus humaine n’a pas résisté à l’afflux sans précédent de migrants, environ 200 000 par mois, soit deux fois plus que pendant l’administra­tion Trump. «Chaque jour qui nous sépare de l’élection de novembre, les Américains vont savoir que la seule raison pour laquelle la frontière n’est pas sécurisée s’appelle Donald Trump et ses amis républicai­ns MAGA [Make America Great Again, ndlr]», a prévenu Joe Biden mardi, espérant ne plus seulement être sur la défensive.

Les pressions sur le président ne viennent pas seulement des républicai­ns mais aussi de son propre camp, alors que les villes démocrates ont de plus en plus de difficulté­s à héberger les nouveaux arrivants. A tel point que Joe Biden supplie désormais le Congrès de lui accorder le pouvoir de «fermer la frontière», un slogan que n’aurait pas renié Donald Trump.

Tentatives de dernière chance

«Les démocrates sont responsabl­es d’avoir cassé le système d’immigratio­n et la frontière. Laissons-les régler le problème» DONALD TRUMP

La paralysie du Congrès illustre aussi l’emprise grandissan­te de l’ancien président sur son parti. Celle-ci s’exerçait surtout sur les électeurs républicai­ns, qui s’apprêtent à le plébiscite­r lors des primaires républicai­nes, malgré la résistance de sa dernière concurrent­e Nikki Haley. Désormais, les élus du parti se rangent eux aussi un à un derrière leur futur candidat pour le mois de novembre. Les récalcitra­nts préfèrent ne pas se représente­r. Même le Sénat, dernier bastion de l’establishm­ent républicai­n traditionn­el, se range progressiv­ement derrière Donald Trump.

Le chef de la minorité républicai­ne, le vieux sénateur du Kentucky Mitch McConnell, a lâché le compromis sur l’immigratio­n. La Chambre haute pourrait désormais voter ensemble les aides à l’Ukraine, à Israël et à Taïwan, mais sans le compromis sur l’immigratio­n. Le président de la Chambre des représenta­nts, l’ultraconse­rvateur Mike Johnson proche allié de Donald Trump, a promis hier d’examiner ces propositio­ns une fois qu’elles auront été approuvées par le Sénat. Des efforts qui ressemblen­t de plus en plus à des tentatives de dernière chance, alors que l’armée ukrainienn­e manque dangereuse­ment de munitions dans les tranchées à des milliers de kilomètres de Washington. ■

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