Les parents d’auteurs de tueries dans le viseur des juges
Une mère a été reconnue coupable d’homicide involontaire et risque jusqu’à 15 ans de prison. Elle a été jugée en partie responsable de la fusillade commise par son fils, qui avait tué quatre étudiants et en avait blessé sept autres dans un collège du Mich
La fusillade du collège d’Oxford, le 30 novembre 2021, aurait pu être évitée. La mère du tueur, Jennifer Crumbley, n’a pas «fait preuve de prudence alors qu’il ne fallait pas grand-chose pour éviter» la catastrophe, a accusé Karen D. McDonald, la procureur démocrate du comté d’Oakland, dans le Michigan, un Etat qui n’a pourtant pas les lois les plus sévères en matière de port d’armes.
La mère a été reconnue coupable mardi de quatre chefs d’accusation pour homicide involontaire, pour les quatre élèves tués, Madisyn Baldwin, Tate Myre, Justin Shilling, et Hana St. Juliana, âgés de 14 et 17 ans. Son fils Ethan a quant à lui déjà plaidé coupable pour les 24 chefs d’accusations retenus contre lui, dont celui de meurtre au premier degré. Il a été jugé comme un adulte – il avait 15 ans au moment des faits – et condamné à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle en décembre 2023.
Cette décision pourrait faire jurisprudence. Elle confirme la volonté de certains procureurs de rendre les parents responsables lorsque ceux-ci sont suspectés d’avoir favorisé ou de ne pas avoir empêché le passage à l’acte de leur enfant. Dans deux autres affaires impliquant des violences avec armes à feu, le père d’un adolescent qui avait tué sept personnes dans l’Illinois en 2022 et la mère d’un enfant de 6 ans qui avait tiré sur sa professeur en Virginie l’année suivante ont plaidé coupable de négligence ou de conduite imprudente et ont écopé de prison ferme.
Gravité des charges
Mais le procès de la tuerie à Pontiac dans l’Etat du Michigan fera date au vu de la gravité des charges retenues contre Jennifer Crumbley, la mère d’Ethan. Cette quadragénaire qui sera fixée sur son sort le 9 avril risque jusqu’à 15 ans de prison. Une condamnation qui n’allait pas de soi: «La décision d’inculper les parents d’homicide involontaire a été prise à l’instinct», a déclaré la procureure Karen D. McDonald, elle-même mère de cinq enfants, lors d’une interview accordée peu après le dépôt des accusations, ajoutant qu’elle avait même suscité des réactions négatives de la part de certains membres de son équipe.
Au centre du procès: le degré de responsabilité de la mère et du père d’Ethan Crumbley dans l’accès de leur fils à une arme à feu. Mais surtout une série de messages échangés entre Jennifer Crumbley et son fils, dans lesquels ce dernier se plaignait d’insomnies, de paranoïa ou d’entendre des voix. Autant d’alertes auxquelles la mère n’a pas prêté attention. «LOL! Je ne suis pas en colère contre toi. Tu dois apprendre à ne pas te faire prendre», lui écrit-elle aussi lorsqu’elle surprend son fils en train de se renseigner sur des munitions sur son téléphone seulement quelques jours avant la fusillade.
Le père, James Crumbley, fera face aux mêmes chefs d’inculpation lors de son procès qui se tiendra en mars. Ce dernier avait acheté une arme à feu à son fils seulement quatre jours avant que le jeune homme ne passe à l’acte, et sa femme l’avait emmené l’essayer sur un stand de tir. Deux heures avant le massacre, le couple avait également été convoqué par le collège, qui s’inquiétait de messages retrouvés dans le cahier de leur enfant où ce dernier avait notamment écrit «du sang partout». Encore une alerte dont ils ne tiendront pas compte.
Un arsenal dans la chambre
«Une telle condamnation aurait dû intervenir il y a longtemps et j’espère que le père du tueur sera aussi condamné, réagit Ron Avi Astor, professeur spécialiste de l’éducation à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Les fusillades dans les écoles ne sont pas une nouveauté. Les parents qui laissent des armes à feu sans surveillance ne peuvent plus ignorer les risques. Ils savent désormais qu’ils peuvent être eux aussi condamnés pour leur négligence. La plupart des auteurs de tueries dans les écoles ces vingt dernières années avaient un arsenal dans leur chambre et les parents étaient parfaitement au courant. Parfois, ce sont même eux qui leur avaient acheté ces armes», explique-t-il.
Pour le professeur, la condamnation de Jennifer Crowley au Michigan ouvre la perspective de sauver des «dizaines de milliers de vies». En effet, les Américains âgés de moins de 18 ans ont plus de risque de mourir par balles que dans un accident de voiture. C’est la première cause de mortalité de cette tranche d’âge, et la mortalité par balles des jeunes est dix fois plus élevée que dans n’importe quel autre pays développé, selon la fondation de la famille Kaiser, active dans la santé publique. Même si les tueries sont les morts les plus médiatisées, la plupart des décès sont des accidents ou des suicides.
«Nous devrions mettre davantage l’accent sur les campagnes de prévention et la sécurisation des armes», poursuit Ron Avi Astor. Car, pour ce qui est de leur contrôle, le débat politique est complètement bloqué et les positions sont très tranchées sur le droit à posséder une arme, garanti par le second amendement de la Constitution américaine. «Nous avons 400 millions d’armes aux Etats-Unis. A défaut de pouvoir réduire ce chiffre insensé, nous pouvons au moins essayer de les sécuriser afin que nos enfants ne puissent pas y avoir accès, plaide le professeur. Les électeurs démocrates comme républicains sont d’accord sur cet objectif. Il faut maintenant que nos politiciens cherchent des solutions communes plutôt que de se profiler sur les questions clivantes.» ■