Le Temps

«Nawaz Sharif donne du travail aux pauvres»

Alors que le pays se rend aux urnes ce jeudi pour les élections législativ­es et provincial­es, les habitants de la ville populaire de Rawalpindi plébiscite­nt le candidat de la Ligue musulmane, considéré comme le seul capable d’améliorer leur situation écon

- MARGOT DAVIER, RAWALPINDI @margotdavi­er

Devant l’imposante gare de style victorien de Rawalpindi, Muhammad Shafir, 55 ans, ronge son frein. Par sa grande taille, cet homme au regard doux détonne au milieu d’un petit groupe de coolies, ces porteurs traditionn­els pakistanai­s revêtus d’un kameez rouge et d’un épais turban soutenant les lourds bagages transporté­s sur la tête. Muhammad Shafir s’enquiert de potentiels clients, pour une poignée de roupies. Mais il n’y a pas grand monde, en ce mardi après-midi. Et les rares passagers ne sont pas surchargés, ce qui rend ses services superflus. «Nous sommes si pauvres. Seul Dieu nous vient en aide», affirme cet homme originaire du Cachemire qui ne gagne que l’équivalent de 60 francs suisses par mois. Impossible de nourrir ses cinq enfants, d’autant qu’il est seul à travailler; dès qu’il le peut, il cherche des extras. Ce jeudi, il votera pour Nawaz Sharif, candidat de la Ligue musulmane pakistanai­se (PML-N) et premier ministre à trois reprises, la plus récente de 2013 à 2017. «Il donne du travail aux pauvres gens. Il peut sauver notre pays qui va si mal. C’est le seul homme politique capable d’améliorer la situation», affirme-t-il.

Fort taux d’analphabét­isme

Nombre des deux millions d’habitants de cette ville populaire collée à Islamabad, la capitale, sont derrière Nawaz Sharif, favori soutenu par l’armée. Comme dans le reste du pays, les rues encombrées d’échoppes et de minuscules restaurant­s arborent les couleurs des différents candidats. Ici, on voit même des affiches du Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI) alors que ce parti s’est vu interdire l’organisati­on de rassemblem­ents et l’affichage de son logo – un handicap dans un pays où le taux d’analphabét­isme frôle les 40%.

C’est qu’Imran Khan, premier ministre de 2018 à 2022 et ancienne star du cricket, a été disqualifi­é car il a été condamné à 10, puis 14 années d’emprisonne­ment. «L’establishm­ent [l’armée, ndlr] pense que le Mouvement du Pakistan pour la justice est son principal ennemi. A l’inverse, les militaires ont d’ores et déjà passé un accord avec Nawaz Sharif; la légitimité de la nouvelle assemblée est questionné­e avant même que le vote n’ait lieu», souligne l’analyste Zahedan Hussain.

Ces enjeux, Muhammad Shafir n’en a cure. Ce qu’il espère, lui, c’est un salaire plus élevé et un emploi digne pour ses enfants, encore à l’école. «Je ne veux pas qu’ils fassent un métier difficile comme le mien», soufflet-il, approuvé par ses compagnons d’infortune. Un peu plus loin, dans l’artère commerçant­e qui jouxte la gare, de nombreux Pakistanai­s affirment soutenir Nawaz Sharif. «J’espère qu’il sera réélu. Nous autres, les pauvres, nous nous trouvons dans une situation dramatique», dit Amir Khan Muhammad, qui vend épis de maïs et noisettes torréfiées sur un petit stand en bois. Et le septuagéna­ire à la petite barbe grise de vanter les «bons prix du sucre, des légumes et de l’essence sous le gouverneme­nt de Sharif». Ici, la hausse de 38,5% des coûts des denrées alimentair­es préoccupe énormément. Les notes d’électricit­é aussi ont augmenté, de 76%, la roupie s’est effondrée et les réserves de change sont complèteme­nt asséchées. Sous l’ère de Nawaz Sharif, Amir Khan Muhammad avait réussi à faire des économies, acheter un petit terrain et construire sa propre maison, où vivent ses cinq filles et ses deux fils. «Jamais je ne pourrais le refaire aujourd’hui», dit-il: il ne gagne désormais que l’équivalent de 90 francs suisses par mois.

Derrière lui, le restaurant de seulement deux couverts de Farid Gulzaib, 32 ans. Ici, on mange des plats locaux comme le dhal (préparatio­n à base de lentilles), des naans et des chapatis (les pains pakistanai­s) ou des potatoe tikki (croquettes de pommes de terre frites), dont le parfum emplit la boutique décorée d’un curieux papier peint, une imitation mur en pierres. «Lorsque Nawaz Sharif était au pouvoir, il a élaboré projet énorme qui donnera lieu à une autoroute reliant les villes du Pakistan entre elles. Ça nous changera la vie», précise-t-il, faisant référence au corridor économique sino-pakistanai­s, un accord historique signé entre Pékin et Islamabad en 2015. Ce plan de 62 milliards de dollars, investisse­ment clé des nouvelles routes de la soie chinoises, fait apparaître aussi la promesse de 700 000 emplois d’ici à 2030, l’arrivée de centaines d’entreprise­s, la rénovation du réseau routier et ferroviair­e, la fibre optique, des centrales électrique­s… Ce projet toujours en constructi­on a été vivement critiqué par Imran Khan lors de son arrivée au pouvoir en 2018.

«Mettre Imran Khan en prison n’était pas une bonne idée. Sharif va gagner, mais ce n’est pas juste»

FARID GULZAIB, HABITANT DE RAWALPINDI

«Nous sommes cernés»

Il a beau soutenir Nawaz Sharif, Farid Gulzaib regrette pour sa part que le scrutin soit influencé et les résultats, connus d’avance: «Il est grave que le PTI ne puisse pas concourir au même titre que les autres. Mettre Imran Khan en prison n’était pas une bonne idée. Sharif va très probableme­nt gagner, mais ce n’est pas juste». La mise au ban d’Imran Khan par les autorités provoque des craintes, relèvent plusieurs habitants de Rawalpindi. «Je suis persuadé que beaucoup de gens ici le soutiennen­t de tout leur coeur, mais ne le diront jamais publiqueme­nt. Il est évident que nous sommes cernés de membres des services secrets. Les gens sont terrorisés», explique Altaf Hussain, propriétai­re d’une échoppe de spécialité­s cachemirie­s, en montrant les ruelles sales autour de lui. Le trentenair­e au petit tablier noir, à la longue barbe et bonnet sur la tête, affirme quant à lui soutenir Nawaz Sharif depuis plusieurs années car il a mis en place des projets de développem­ent dans sa région, le Cachemire.

Pour le tout jeune et pétillant Saqib Yaqoob, un ingénieur informatiq­ue de 23 ans, «le vent a tourné. Quand nous soutenons le PTI d’Imran Khan, nous avons peur: les services guettent. Exhiber leur drapeau, c’est s’exposer à une arrestatio­n. Je suis sûr que beaucoup de gens soutiennen­t Nawaz Sharif pour cette raison. Le gouverneme­nt ne fait campagne que pour un seul parti», soupire ce fervent soutien de l’opposant en prison. Il relève que les Pakistanai­s ne se font aucune illusion sur le déroulé du scrutin. «Ce ne sont pas des élections libres, nous sommes en colère. Et les jeunes de mon âge, encore plus», conclut-il. ■

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(KASUR, 6 FÉVRIER 2024/AAMIR QURESHI/AFP) Des partisans de Nawaz Sharif lors d’un rassemblem­ent le dernier jour de la campagne électorale, dans la province du Pendjab.

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