Un océan caché au large de Saturne
Des astronomes ont établi que la moitié du volume de Mimas, une lune saturnienne, est occupée par de l’eau à l’état liquide. Une découverte qui surprend les planétologues
La découverte est inattendue. Une équipe internationale d’astronomes vient d’annoncer dans la revue Nature que Mimas, une minuscule lune de Saturne réputée inactive, dissimule à 20 ou 30 km de profondeur, partout sous sa surface de glaces, un gigantesque océan en formation.
Valery Lainey de l’Observatoire de Paris-PSL et ses collègues ont étudié en détail les mouvements de rotation et d’orbite du satellite. En confrontant leurs modèles aux données récoltées entre 2004 et 2017 par la sonde Cassini de la NASA et de l’ESA, ils ont réussi non seulement à confirmer l’existence d’un vaste compartiment intérieur d’eau à l’état liquide mais également à calculer son âge. Moins de 15 millions d’années… C’est-à-dire tout récemment dans l’histoire du Système solaire: ce dernier est âgé de plus de 4,5 milliards d’années.
Posséder des océans n’est plus de nos jours une exclusivité terrestre. Grâce aux données récoltées depuis une vingtaine d’années par les télescopes et les sondes spatiales, les astronomes ont appris que certains satellites de Saturne et de Jupiter maintiennent sous les calottes de glaces, dont ils sont totalement recouverts, d’importantes nappes d’eau. Pour les plus gros, comme Titan, Ganymède ou Europe (dont l’océan atteindrait de 100 à 150 km de profondeur) en tirant parti de la chaleur produite par les éléments radioactifs de leurs coeurs de roches silicatées. Et pour les plus petits, telle la minuscule Encelade d’où s’échappe à travers l’espace un geyser de vapeur d’eau et de glaces observé en 2005 par la sonde Cassini, en profitant des forces de marées exercées par la planète géante autour de laquelle ils orbitent. «Mais, tous avaient jusqu’à présent au moins livré un indice de la présence d’un océan», constate Valery Lainey.
Tel n’est pas le cas de Mimas: «Cette lune, de 400 km de diamètre qui tourne autour de Saturne en lui présentant perpétuellement la même face, est trop petite pour maintenir durablement sa chaleur interne. Elle n’a pas non plus l’apparence lisse d’Encelade. Au contraire, sa surface est recouverte de cratères dont la présence laisse supposer qu’elle pourrait être constituée de terrains anciens n’ayant pas été renouvelés par des processus internes à des périodes récentes. Avant 2014, personne n’imaginait qu’un tel corps soit capable de conserver de grandes quantités d’eau à l’état liquide».
Mais cette année-là, l’équipe de l’Observatoire de Paris découvre dans les enregistrements de la sonde Cassini, de petites anomalies dans la vitesse de rotation du corps céleste sur lui-même: des oscillations appelées «librations» qui, établit-elle bientôt, ont seulement deux explications possibles. L’une affectant le noyau rocheux de Mimas d’une forme très allongée, l’autre envisageant l’existence d’un océan global caché sous sa surface.
C’est cette dernière hypothèse, longtemps accueillie avec scepticisme par la communauté scientifique dont elle a cherché à prouver la validité. Pour y parvenir, ces spécialistes de la Mécanique céleste ont commencé par calculer comment, en fonction du modèle d’intérieur choisi, ces «librations» affecteraient la «dérive du périapside» de Mimas, un mouvement de l’orbite de cette lune autour de Saturne. Puis, ils ont confronté le résultat obtenu aux observations réalisées par la sonde Cassini. Avant de trancher entre les deux théories et d’essayer de comprendre d’où ce minuscule objet a pu récupérer l’énergie nécessaire pour fondre la calotte depuis son socle rocheux et créer un océan. Et quel océan! Situé sous une épaisseur de glaces de 20 à 30 km, trop grande pour que la surface s’en soit trouvée modifiée, ce dernier atteindrait une profondeur d’au moins 60 km. Et occuperait plus de la moitié du volume du corps céleste!
Réelle avancée
«Un satellite soumis à des forces de marées subit des déformations et des frictions qui le réchauffent, explique Gabriel Tobie, chercheur CNRS au Laboratoire de planétologie et géosciences de Nantes Université. Plus l’ellipse qu’il décrit en parcourant son orbite est étirée, plus l’effet est important. Celle de
Mimas a évolué. Elle était trois fois plus allongée qu’aujourd’hui lorsque l’océan a commencé à se former, il y a 15 millions d’années. Voire cinq, si l’on suppose que le noyau rocheux de cet objet n’est pas rigide mais poreux».
«Cette étude est inédite par la méthode qu’elle utilise, estime l’astronome Tim Van Hoolst de l’Observatoire royal de Belgique. L’idée de combiner des observations sur la rotation et l’orbite pour accéder à des informations sur l’intérieur d’un corps céleste est une réelle innovation qui profitera à la planétologie, une discipline souffrant d’un manque crucial de données. Elle est aussi surprenante par ses conclusions. Avoir établi que des océans peuvent encore se former à notre époque dans le Système solaire et que ce processus peut être rapide est une réelle avancée. L’océan de Mimas n’est âgé que de 15 millions d’années et il commence déjà à disparaître. On pourrait presque dire que nous avons de la chance d’avoir été là pour le voir!»
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