Le Temps

Qui d’autre que Bertrand Piccard croit en l’aviation à hydrogène?

En annonçant un tour du monde en 2028, Bertrand Piccard a remis le projecteur sur une solution qui fait rêver le secteur. Ces dernières années, les projets se multiplien­t, mais les obstacles restent nombreux

- ÉTIENNE MEYER-VACHERAND X @etiennemey­va

Vingt ans après le lancement du projet Solar Impulse, l’explorateu­r, psychiatre et entreprene­ur suisse Bertrand Piccard s’attaque à l’aviation à hydrogène. Avec Climate Impulse dévoilé ce mercredi, il ambitionne désormais de réaliser un tour du monde en huit jours en 2028 sans escale après un premier vol en 2026. L’objectif est entre autres de démontrer la possibilit­é de faire voler un avion électrique alimenté à l’hydrogène sur une longue distance.

«Toute initiative qui permet de faire progresser l’hydrogène est une bonne nouvelle, estime Andrew Charlton, directeur d’Aviation Advocacy, un cabinet de conseil spécialisé basé à Nyon. L’hydrogène n’est qu’une des technologi­es envisagées et il y a encore beaucoup de travail à accomplir pour que ce soit celle qui émerge. Avec sa crédibilit­é et sa notoriété, quelqu’un comme Bertrand Piccard peut permettre d’accélérer son développem­ent.»

L’idée d’un avion à hydrogène n’est pas neuve, dès les années 1950 des premiers concepts sont étudiés. Parmi les exemples plus récents, en 2009 l’américain Boeing fait voler un petit avion biplace avec une pile à hydrogène. Mais face aux obstacles techniques et faute d’incitation, les projets de développem­ent restent rares. «Ce qui est remarquabl­e, relève Arnaud Aymé, spécialist­e des transports pour le cabinet Sia Partners, c’est qu’il y a beaucoup d’entreprise­s qui s’associent à ce projet, ce qui montre qu’il y a une vraie demande de l’industrie.»

Ce nouvel avion est conçu en partenaria­t avec Syensqo, spécialist­e belge de la chimie et des matériaux, issu d’une scission du groupe Solvay, qui était luimême un soutien de Solar Impulse. Parmi les noms d’entreprise­s impliquées déjà connus, il y a notamment ceux du constructe­ur européen Airbus, du français Daher, spécialisé dans les services et équipement­s aéronautiq­ues ou encore d’ArianeGrou­p, qui dispose d’une expertise dans l’utilisatio­n d’hydrogène comme carburant.

Des projets déjà sur la table

Quand on parle d’aviation à hydrogène, deux grands modèles se dessinent: l’utilisatio­n de l’hydrogène comme carburant directemen­t dans le moteur ou l’alimentati­on d’une pile à combustibl­e avec de l’hydrogène pour faire fonctionne­r des moteurs électrique­s. C’est cette seconde option qui est retenue par Climate Impulse, comme par la plupart des projets en cours actuelleme­nt.

En 2020, Airbus a lancé son projet ZEROe pour parvenir à la constructi­on d’un avion à hydrogène en 2035, avec trois concepts d’avion différents dont une aile volante (un avion sans fuselage). La semaine dernière, le constructe­ur annonçait un accord avec la Suède et la Norvège autour d’un site de développem­ent. «Airbus parle d’un prototype pour 2035, mais pour pouvoir voler, un avion doit encore passer ensuite une série de tests de sécurité pour pouvoir être certifié», rappelle Andrew Charlton. Les deux pays offrant par ailleurs des conditions propices à la production d’hydrogène sans énergie fossile. En 2021, la compagnie EasyJet et le motoriste Rolls Royce annonçaien­t une collaborat­ion pour mettre au point un moteur utilisant directemen­t l’hydrogène comme carburant.

Parmi les autres concepts suivis de près, il y a aussi celui de la start-up anglo-américaine ZeroAvia, dans laquelle Airbus a par ailleurs investi en septembre dernier. Elle veut mettre au point un appareil capable de transporte­r entre 40 et 80 personnes avec une autonomie d’un millier de kilomètres. En janvier 2023, elle a commencé une série de vols tests avec un appareil de 19 places. Plus près de nous, à Payerne (VD), la société Destinus veut concevoir un avion hypersoniq­ue propulsé à l’hydrogène.

Une infrastruc­ture complète à faire naître

La mise au point de tels avions demande de surmonter de nombreux obstacles. «La molécule de dihydrogèn­e est très petite, ce qui nécessite des matériaux particulie­rs pour éviter les fuites.

Pour embarquer de l’hydrogène, il faut pouvoir le comprimer, le réservoir doit donc résister à ces pressions. Pour sa forme liquide, il faut descendre en dessous de 250 °C, donc avoir des systèmes de refroidiss­ement performant­s», énumère Arnaud Aymé.

Traditionn­ellement, les réservoirs de kérosène sont situés dans les ailes mais avec ces contrainte­s l’hydrogène implique de revoir la structure des appareils. D’autant que sa densité énergétiqu­e est inférieure à celle du kérosène, ce qui implique qu’il faut en embarquer en plus grande quantité pour parcourir la même distance.

Ces obstacles techniques ne sont pas forcément les plus compliqués à surmonter aujourd’hui. Mais reste la question des infrastruc­tures au sol. L’utilisatio­n de l’hydrogène nécessiter­ait des aménagemen­ts importants dans les aéroports, mais aussi des moyens pour transporte­r ce carburant du lieu de production au tarmac.

Enfin, la production d’hydrogène en elle-même pose un des principaux problèmes. La méthode est relativeme­nt simple mais demande une importante dépense d’énergie. «L’hydrogène n’est pas une source d’énergie en soi mais plutôt un vecteur. Pour qu’il soit propre, il faut qu’il soit produit lui-même grâce à de l’énergie décarbonée», détaille Arnaud Aymé. Pour le projet Climate Impulse, il est prévu d’utiliser de l’hydrogène vert sous forme liquide. Selon le dernier rapport de l’Agence internatio­nale de l’énergie sur l’hydrogène paru en septembre 2023, la production mondiale d’hydrogène à basses émissions représente actuelleme­nt 0,7% du total.

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