L’inventeur autoproclamé de Bitcoin devant la justice à Londres
Craig Wright prétend être l’individu derrière le pseudonyme Satoshi Nakamoto, à l’origine de la première cryptomonnaie lancée en 2009. Une association le poursuit pour cette allégation
C’est une affaire peu habituelle qui se joue actuellement au RoyaumeUni. Craig Wright, un informaticien et entrepreneur australien, revendique depuis 2016 être l’inventeur du réseau de paiement électronique pair-à-pair Bitcoin, la plus célèbre des cryptomonnaies. Une affirmation controversée qui n’est pas du goût de tous, et qui lui vaut d’être jugé par la justice britannique. Le procès, qui s’est ouvert lundi comme le rapporte Wired, pourrait avoir de lourdes répercussions sur l’avenir de Bitcoin si les juges donnent raison à Craig Wright.
Revenons-en à la source de l’affaire. Le mystère qui entoure le créateur de Bitcoin reste entier depuis plus de quinze ans. L’auteur du livre blanc publié en 2008, lequel décrit le fonctionnement technique de ce qui allait devenir en janvier 2009 la première cryptomonnaie, est connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. A ce jour, nul ne sait qui se cache derrière cet alias: s’agit-il d’un individu isolé, ou même d’un groupe de personnes?
Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas donné signe de vie depuis lors. Différentes adresses – l’équivalent d’un compte bancaire qui contient des bitcoins – lui sont associées. Elles sont scrutées de près et le moindre mouvement pourrait signifier que Satoshi Nakamoto est bien vivant et qu’il reprend possession de ses biens. Une perspective qui pourrait remettre en cause tout l’édifice de Bitcoin.
En effet, l’absence d’un inventeur clairement identifié fait partie intégrante du fonctionnement de la cryptomonnaie originelle. Son évolution dépend uniquement des personnes qui contribuent à son développement, que ce soit par des propositions techniques ou la simple participation au réseau. Aucun gourou, aucune tête pensante n’influence l’orientation de Bitcoin, contrairement aux autres monnaies numériques qui sont nées dans son sillage.
Une organisation fondée par Jack Dorsey
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une organisation a déposé plainte contre Craig Wright au Royaume-Uni. La Crypto Open Patent Alliance (COPA) reproche à l’intéressé d’avoir fait fuir de nombreux développeurs depuis qu’il a revendiqué être Satoshi Nakamoto. De son côté, l’informaticien et entrepreneur a engagé des démarches juridiques pour obtenir des droits de propriété intellectuelle sur Bitcoin.
La COPA, qui a été créée par Jack Dorsey, ex-fondateur de Twitter, est principalement composée d’entreprises américaines actives dans le secteur des cryptomonnaies, comme la plateforme d’échange Coinbase. Sa mission est de favoriser l’adoption et le développement des monnaies numériques.
L’association a donc demandé à la justice britannique de reconnaître que Craig Wright et Satoshi Nakamoto ne sont pas la même personne. Comme le relève Wired, c’est sur la partie plaignante que repose la charge de la preuve. L’association est donc tenue de démontrer ce qu’elle avance. Pour l’heure, les premières plaidoiries se sont concentrées sur les documents sur lesquels Craig Wright s’appuie pour revendiquer être l’inventeur de Bitcoin.
Selon les plaignants, les preuves de l’informaticien ont été falsifiées. Par ailleurs, ils lui reprochent de n’avoir jamais démontré qu’il était en possession des clés privées – l’équivalent d’un mot de passe permettant d’accéder aux comptes sur lesquels sont détenus des bitcoins – associées aux adresses réputées être celles de Satoshi Nakamoto.
De son côté, Craig Wright a indiqué par la voix de son avocat qu’il avait toujours refusé de se plier à cette exigence, arguant que celle-ci serait contraire à sa philosophie du respect de la vie privée. C’est d’ailleurs pour permettre à Bitcoin de revenir à ses valeurs fondamentales qu’il dit avoir pris la décision de sortir de l’ombre.
Selon lui, l’essence même de Bitcoin aurait été pervertie par la multiplication des intermédiaires qui offrent des services de conservation et de négoce, là où la cryptomonnaie était présentée à son origine comme un système de paiement électronique pair-à-pair, sans l’intervention de tiers. De plus, il regrette que Bitcoin ne soit pas suffisamment réglementé.
La semaine précédant l’ouverture du procès, Craig Wright a fait une proposition à la Copa dans le but de clore le litige. L’informaticien s’est engagé à autoriser les monnaies dérivées de Bitcoin à continuer d’exploiter son nom, renonçant ainsi à intenter des poursuites.
Il exigeait en contrepartie que les développeurs s’engagent de leur côté à appliquer les lois en vigueur. Une proposition immédiatement balayée par la COPA.
L’association joue désormais gros dans ce procès qui s’étendra sur six semaines. Si elle échoue à faire reconnaître au tribunal que Craig Wright et Satoshi Nakamoto ne sont pas une seule et même personne, l’informaticien pourrait plus facilement faire valoir ses prétentions sur Bitcoin.
Un mystère qui passionne
La Crypto Open Patent Alliance reproche à Craig Wright de faire fuir les développeurs depuis qu’il revendique être Satoshi Nakamoto
Si le procès peut sembler a priori moins spectaculaire que celui de Sam Bankman-Fried, la star déchue qui avait fondé FTX, alors deuxième plateforme la plus importante en matière de négoce de cryptomonnaies, son issue s’avère beaucoup plus cruciale pour le secteur. Pas de quoi inquiéter Lionel Jeannerat, fondateur de l’événement Paradigme Bitcoin qui a lieu à La Chaux-de-Fonds chaque année: «En refusant de donner une preuve cryptographique du contrôle de l’une des adresses de Satoshi Nakamoto, Craig Wright prouve qu’il n’est pas l’inventeur de Bitcoin.»
L’identité réelle de Satoshi Nakamoto suscite depuis toujours curiosité et passion. La décision d’une cour de justice n’y changera probablement rien. En Suisse, l’avocat valaisan Sébastien Fanti s’était d’ailleurs lancé sur les traces de l’inventeur de Bitcoin, sous l’égide de l’association Beyond Nakamoto. Il s’en était expliqué en novembre 2022 dans les colonnes du Temps. Contacté, Sébastien Fanti a produit une analyse stylométrique réalisée par l’entreprise OrphAnalytics qui tendrait à démontrer que Craig Wright est le propriétaire du compte X @Satoshi, créé en 2018. Selon l’avocat valaisan, les revendications de l’informaticien australien ne sont pas crédibles.
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