Le Temps

«C’était notre secret et on le protégeait»

Ils se sont connus ados et se sont aimés follement. Il y a eu une déchirure. Chacun a mené sa vie. Ils se sont retrouvés en 2018 et ont vécu une nouvelle passion avec des rendez-vous au cinéma. Evelyne, 50 ans, et Christophe, 53 ans, racontent

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN LECOMTE @chrislecdz­5

Ils et elles se sont connus, perdus de vue, puis retrouvés… pour le meilleur. Jusqu’au 14 février, «Le Temps» met à l’honneur de folles histoires d’amours de jeunesse qui se sont prolongées alors qu’on ne les attendait plus. Une série qui fait chaud au coeur

Evelyne. C’était en février 1989, au carnaval de Sainte-Croix (VD). J’avais 16 ans. J’étais bénévole, placée sous les ordres de Pascal Broulis qui à l’époque n’était pas encore un élu. Christophe m’a abordée au bar de la Maison des Jeunes. Il avait 19 ans et il traînait une réputation de mauvais garçon. Plein de filles tournaient autour de lui. J’étais flattée qu’il s’intéresse à moi. A cet âge, on aime bien les bad boys. Mais j’étais étonnée parce que je n’imaginais pas être son genre de fille. J’étais assez réservée, j’habitais chez mes parents, enfant unique. Je suivais déjà des études pour devenir opticienne, métier que j’ai exercé toute ma vie. On a parlé. Il m’a raccompagn­ée chez moi, on a échangé un baiser. Ce fut le début d’une histoire d’amour qui a duré alors six années.

Christophe. Je l’ai vue et je l’ai trouvée si belle. Un coup de foudre. Ma vie n’était pas facile. J’avais eu des problèmes avec la justice, j’ai été incarcéré. J’étais un peu dans la destructio­n, comme perdu. En même temps, j’étais très sportif, je pratiquais le football, c’était une question d’équilibre. Mes parents ne m’ont pas donné de cadre. L’alcool a toujours été présent au sein de notre famille. La relation avec mon père a toujours été difficile, il avait des traits autistique­s, il était souvent dans son monde. La prison m’a apporté un cadre, m’a calmé. Ma rencontre avec Evelyne m’a permis de repartir à zéro. Ses parents m’ont accueilli. Sa mère est devenue comme une autre maman. Il y avait de la douceur, de l’écoute dans ce foyer, des livres aussi, de la musique. Tout ce que je n’avais pas connu.

Evelyne. Au début, ma mère a paniqué à l’idée de savoir Christophe sous notre toit. Il était connu à Sainte-Croix, plutôt défavorabl­ement. Ensuite on a loué un appartemen­t. J’ai achevé mon apprentiss­age d’opticienne et j’ai trouvé un emploi à Yverdon.

Christophe. Après l’armée, j’ai travaillé dans la même entreprise que celle de mon père qui était le responsabl­e de la production. Moi, j’étais mécanicien. Pendant les repas, on ne parlait que de travail. C’étaient les seuls échanges entre nous.

Evelyne. En 1995, je suis partie en Australie pour apprendre l’anglais mais aussi pour mettre une distance entre Christophe et moi. Il était devenu comme une icône, il était adulé à cause du foot. Des femmes plus âgées lui faisaient ouvertemen­t des avances. Je me sentais petite par rapport à lui, presque insignifia­nte. J’avais besoin de cet éloignemen­t mais ce n’était pas une séparation. D’ailleurs je suis rentrée au bout de cinq mois alors que j’avais planifié de vivre là-bas une année.

Christophe. J’avais pris ce départ comme une rupture. On s’aimait avec passion mais on s’était connus très jeunes. Nous manquions de vécu, d’expérience. J’ai trompé Evelyne avec une femme mariée qui en quelque sorte m’a initié au sexe, à une relation plus mature. Quelqu’un le lui a dit à son retour d’Australie.

Evelyne. J’ai récupéré toutes mes affaires dans l’appartemen­t que l’on partageait. Je me disais: c’est fini, c’est fini. C’était très douloureux. J’ai déménagé à Yverdon. Je ne voulais plus le voir, pour me protéger. J’ai changé de vie, j’ai perdu tous les amis que nous avions en commun. J’ai calculé: en vingt-huit ans, je n’ai recroisé Christophe que trois fois. J’étais alors pour le moins froide. Mais j’avais mes indics qui me disaient ce qu’il devenait. Entre les pages d’une bande dessinée, j’avais conservé nos photos et j’avais une pensée émue chaque année, le jour de son anniversai­re.

«J’étais comme l’ado que je fus. Dans le noir, attendant que sa main se pose sur la mienne» ÉVELYNE

Christophe. Je me souviens évidemment de ces rencontres fortuites. Elle m’ignorait et j’interpréta­is cela comme un bon signe. Elle aurait été souriante, polie, naturelle et j’aurais compris qu’elle avait tourné la page. Mais cette distance, cet air glacial indiquaien­t qu’elle m’en voulait encore. Peutêtre qu’elle éprouvait encore des sentiments.

Evelyne. Je ne l’ai jamais oublié, c’est mon premier amoureux.

Christophe. Je la trouvais encore plus belle qu’à 16 ans. Elle était devenue une femme magnifique. De manière sans doute inconscien­te, je cherchais encore à la séduire. Je suis parti en République dominicain­e comme professeur de plongée. J’avais passé tous mes brevets. Je jouais les Jean Reno du Grand Bleu. On m’a dit et on continue à me dire que je lui ressemble beaucoup physiqueme­nt. Avec Evelyne, on a vu ce film à sa sortie. Je l’ai même revu trente-cinq ans plus tard lorsqu’il est ressorti avec orchestre en live. Je me suis marié, ai eu deux enfants, une fille et un garçon, qui sont grands aujourd’hui. L’aînée vient de se marier au Mexique. Je me suis séparé de mon épouse, nous sommes désormais divorcés. Notre couple a traversé des crises. C’est une personne qui a été longtemps malade. Elle va mieux maintenant et la relation est apaisée. J’ai appris qu’Evelyne s’était mariée elle aussi et qu’elle avait eu, comme moi, une fille et un garçon. Et qu’elle avait également divorcé. Je me suis peu à peu stabilisé. Je travaille comme maître socioprofe­ssionnel, auprès de personnes dites en situation de handicap. Je suis une psychothér­apie. Mon psy m’a dit lors d’une séance: il faut nettoyer votre âme. J’ai pensé: cela passe par le fait de retrouver Evelyne, lui parler.

Evelyne. Il m’a appelée un jour, le 15 novembre 2018. J’étais au lit, malade, une vilaine gastro. J’ai juste dit: rappelle-moi!

Christophe. J’ai mis une semaine avant de la rappeler. Je faisais son numéro et puis je n’allais pas au bout. Mon coeur battait la chamade à chaque fois. C’était une torture.

Evelyne. Il a rappelé. Je lui ai fixé rendez-vous à 18h30 au magasin d’optique que je tenais encore avec mon ex-mari. On était déjà séparés. Il est lui aussi opticien. Je lui ai demandé de garder nos enfants qui étaient encore petits, car j’avais à faire. On a discuté avec Christophe jusqu’à 22h30. Puis on est allés chez moi mais lui s’est caché en attendant que mon ex soit parti. Puis on a encore parlé jusqu’à 3h du matin. Tout à coup, il a dit: bonne suite, bonne route! Et il est parti.

Christophe. Ces retrouvail­les ont remué beaucoup de choses en moi. J’ai su qu’elle avait su que je l’avais trompée. Je lui ai dit qu’elle m’avait rendu un grand service en m’écoutant et qu’à son tour elle pouvait m’appeler si elle éprouvait le besoin de se confier.

Evelyne. Plus de nouvelles pendant un mois et demi. Incroyable, hein? Du coup je me suis lancée et je l’ai invité au cinéma à Lausanne. Un film glauque au possible. J’étais comme l’ado que je fus. Dans le noir, attendant que sa main se pose sur la mienne. Mais il ne s’est rien passé. On est retournés au cinéma, toujours à Lausanne. On a bu un verre. Il a enfin touché ma main. Et puis le deuxième premier baiser. Et puis la suite, vous comprenez…

Christophe. Le mercredi après ma thérapie, j’allais chez elle, elle me faisait à manger. Ses enfants étaient déjà couchés. Le dimanche aussi, on se voyait quand ses enfants étaient à leur cours de cirque. On s’aimait cachés. C’était drôle. On ne voulait pas que les gens apprennent qu’on avait repris une histoire d’amour commencée un quart de siècle avant. C’était notre secret et on le protégeait.

Evelyne. Et puis, il m’a posé des lapins, comme jadis. J’ai pensé: ça recommence! Je ne voulais pas souffrir une autre fois. J’ai encore rompu et j’ai vécu un terrible chagrin d’amour. Une semaine sur le canapé. A pleurer et manger des biscottes. J’ai cru mourir. Ma mère est venue. Elle avait peur pour moi, pour ma santé.

Christophe. Je culpabilis­ais à cause de mon ex-épouse qui allait mal. Il y avait son addiction à l’alcool, ses crises qui ont nécessité une hospitalis­ation en psychiatri­e. Mes enfants aussi avaient besoin de leur père.

Evelyne. J’ai compris cela, finalement. On a repris notre histoire d’amour. Elle est devenue très romantique. On se cachait toujours. Qui aurait pu comprendre cette relation bizarre qui remontait à l’adolescenc­e? La nuit, on se retrouvait à Grandson au bord du lac. On y allait en pyjama chacun dans sa voiture. On est allés en cachette à Berlin au concert de Lauren Daigle. On se fixait des rendez-vous improbable­s. C’était épique et souvent drôle. On était comme des ados.

Christophe. Evelyne a pu rencontrer mes enfants, qui ont validé notre relation et ça m’a soulagé.

Evelyne. De mon côté, c’était difficile avec mes enfants. Mon fils surtout ne voulait pas faire face à Christophe. Il fuyait chez les voisins quand il venait à la maison. Et puis il s’est passé ceci: une nuit, on m’appelle. Mon fils qui était à une fête a fait un coma. Quelqu’un l’a piqué avec une seringue. Sur place, les Samaritain­s nous rassurent, il est stabilisé et peut rentrer chez nous. Christophe a porté mon garçon. Et puis il est retourné sur place pour récupérer son vélomoteur. Il est tombé en panne quatre fois en le ramenant. Cette histoire a apaisé mon fils et il a appris à accepter Christophe puis l’apprécier.

Christophe. Nous vivons aujourd’hui ensemble. Le Noël 2023 s’est fêté avec les deux familles.

Evelyne. On se dit parfois qu’on a perdu du temps avec cette longue séparation. Mais les événements l’ont voulu ainsi. J’ai ce regret: ne pas avoir fait d’enfant avec Christophe. Pardon mais je verse une larme.

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(EUGÉNIE LAVENANT POUR LE TEMPS)

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