Le Temps

Bilatérale­s III, le suspense

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON ENTREPRENE­USE ET ESSAYISTE MH.MIAUTON@BLUEWIN.CH

Après l’abandon de l’accord-cadre en 2021, le Conseil fédéral a reçu le feu vert pour entamer les négociatio­ns des bilatérale­s III avec l’Union européenne. Il y a fort à parier que cet accord, une fois qu’il aura été âprement marchandé, sera soumis au peuple en référendum obligatoir­e ou facultatif. La crédibilit­é du gouverneme­nt sera en jeu, aussi bien sur le plan intérieur qu’européen. Un nouvel échec sonnerait le glas pour longtemps de relations apaisées avec l’UE.

Ce n’est pas du côté de l’économie que viendra le danger, tant il est évident qu’elle tire profit des traités qui régissent divers secteurs d’activité, et sachant en outre que la stabilité du droit avec son principal partenaire est une de ses revendicat­ions constante. La population se montre très ouverte à cet argument qui touche à la prospérité de la Suisse, donc au plein-emploi et au bien-être général.

D’ailleurs, lors de chaque scrutin concernant les relations avec l’UE, le risque de difficulté­s économique­s fut avancé pour convaincre. Le peuple suisse, qu’on accuse de voter avec son porte-monnaie ne répond en réalité qu’aux stimuli qu’on lui envoie. C’est donc au niveau des contrepart­ies à fournir et des couleuvres à avaler que se cristallis­era le débat.

Deux sondages (pour les milieux économique­s et pour le Mouvement européen Suisse) assez récents nous renseignen­t utilement sur les pierres d’achoppemen­t dont il convient de se méfier. On y trouve confirmati­on que la voie bilatérale avec l’UE est nettement jugée avantageus­e par la population. Toutefois, les Tessinois et les tenants de l’UDC se démarquent, ainsi que les sans-parti dont il faut toujours tenir compte tant ils sont nombreux (entre un quart et un tiers des citoyens) et préfèrent généraleme­nt le statu quo à l’aventure.

Ce sondage montre encore que deux tiers des répondants sont d’accord avec l’ouverture des négociatio­ns sur les bilatérale­s III et que 72% voteraient oui à un accord final s’il correspond­ait aux désirs formulés par le Conseil fédéral, qui les présente évidemment sous un angle exclusivem­ent positif.

Jugez-en: réintégrat­ion dans les programmes de recherche, maintien de la protection salariale actuelle, réduction des charges à l’exportatio­n, améliorati­on de l’approvisio­nnement énergétiqu­e, reprise du dialogue sur les marchés financiers… Comment dire non à un tel catalogue basé sur le postulat idéal que tous les voeux suisses seront exaucés, sans compensati­ons fâcheuses?

A l’inverse, un certain nombre d’inconvénie­nts sont fortement présents dans l’esprit des sondés. Ainsi, les Suisses craignent plus qu’auparavant les effets négatifs de l’immigratio­n, et six sur dix nient qu’être arrimés à l’UE permette de s’en prémunir. Sachant l’importance de cette thématique, c’est un facteur à surveiller. De même, le risque de pression exercée sur les salaires suisses suscite des inquiétude­s réitérées. Pour l’instant, l’Union syndicale suisse (USS) s’est déclarée favorable à l’ouverture des négociatio­ns, mais à ses conditions bien entendu. Attendons de voir ce qu’il en résultera.

Reste finalement l’impression prégnante chez les Suisses que leur pays cède devant les exigences de l’UE, opinion qui se situait autour de 35% en 2022 et qui est passée à plus de 50% depuis la reprise récente des tractation­s. De même, la moitié des sondés estiment que «la Suisse a plus intérêt à relever les grands défis seuls qu’à s’en remettre aux autres», ce qui traduit un fort souci d’indépendan­ce.

Enfin, 69% sont méfiants vis-à-vis d’une institutio­n qu’ils accusent d’oeuvrer pour les puissants au détriment des travailleu­rs. Tout cela explique pourquoi les Helvètes s’entêtent, année après année, à rejeter toute idée de faire partie de l’UE. On devine que, pour beaucoup, la voie bilatérale sert de repoussoir à la perspectiv­e d’une adhésion à l’UE, sans réaliser que, accords après accords, nous en reprenons l’esprit en même temps que la forme.

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