Le Temps

L’interminab­le remaniemen­t se transforme en psychodram­e

Amélie Oudéa-Castéra, la ministre de l’Education, chute après des semaines de polémiques, et la prise de parole musclée de François Bayrou, principal allié du camp présidenti­el, aura aussi marqué la séquence

- PAUL ACKERMANN, PARIS X @paulac

Un mois jour pour jour après la démission de l'équipe ministérie­lle d'Elisabeth Borne, le gouverneme­nt français est enfin au complet. Une première volée de nouveaux ministres avaient bien pris leurs fonctions le 11 janvier mais la nomination des ministres délégués et des secrétaire­s d'Etat du gouverneme­nt de Gabriel Attal a dû attendre hier. Une attente exceptionn­ellement longue.

Et la principale informatio­n de la liste dévoilée dans la soirée concerne déjà une des ministres nommées mi-janvier: la ministre de l'Education Amélie Oudéa-Castéra perd effectivem­ent son poste. En répondant très maladroite­ment sur la scolarité de ses enfants dans un établissem­ent privé, élitiste et catholique, elle avait involontai­rement braqué les projecteur­s sur ces écoles parisienne­s dans lesquelles les plus riches Français placent leur progénitur­e. Une polémique qui a fâché les enseignant­s du public et rendu toute prise de parole ministérie­lle très compliquée.

Elle conserve cependant la partie sports et Jeux olympiques du portefeuil­le géant dont elle avait hérité et qui aura été un échec criant.

Amélie Oudéa-Castéra est remplacée à l'Education par Nicole Belloubet, 68 ans, ancienne ministre de la Justice du premier quinquenna­t Macron, issue du Parti socialiste et rectrice des académies de Limoges et Toulouse entre 1997 et 2005. Un signe pour l'aile gauche du macronisme, grande perdante de la première phase du remaniemen­t. Pour le reste des nomination­s, on notera l'arrivée du proche d'Edouard Philippe Frédéric Valletoux comme ministre délégué chargé de la Santé.

«Une différence d’approche sur la méthode à suivre»

Et surtout, quelques portefeuil­les reviennent à des membres du MoDem, ce qui n'était pas une évidence ces dernières heures. Car le principal événement de cette fin de remaniemen­t restera le coup de gueule du président du MoDem, François Bayrou. Le centriste historique est un des principaux alliés d'Emmanuel Macron, notamment à l'Assemblée nationale où chaque voix compte et où le MoDem en dénombre une cinquantai­ne (sur les 246 de la majorité relative du camp présidenti­el).

Alors qu'il était pressenti pour hériter d'un des postes les plus importants du nouveau gouverneme­nt, François Bayrou a déclaré mercredi soir à l'AFP qu'il avait refusé plusieurs ministères en l'absence «d'accord profond sur la politique à suivre». Il affirme ainsi avoir refusé le Ministère de l'éducation. «De nombreuses discussion­s m'ont fait conclure à une différence d'approche sur la méthode à suivre, qui me paraît rédhibitoi­re», a-t-il expliqué.

François Bayrou aurait aussi décliné le Ministère des armées et n'aurait pas trouvé un accord sur un grand Ministère de l'aménagemen­t du territoire qu'il souhaitait pour résorber «le gouffre qui s'est creusé entre la province et Paris». Manière de pointer le parisianis­me du nouveau gouverneme­nt ainsi que celui du tout jeune premier ministre. «Un sujet qui me préoccupe terribleme­nt, c'est la rupture […] de plus en plus grave entre la base et les pouvoirs», a-t-il ajouté hier matin sur Franceinfo. «On a un gouverneme­nt qui comporte sur 14 ministres, 11 parisiens ou francilien­s et pas un seul du sud de la Loire.»

Les présidenti­elle de 2027 en ligne de mire

Ces mots doux laissaient aussi entrevoir une crise majeure dans cette majorité relative. François Bayrou a cependant tenu à affirmer hier matin sur Franceinfo que le MoDem restait «membre à part entière de la majorité qui veut reconstrui­re le pays».

Du côté des députés MoDem, certaines voix se sont élevées pour dénoncer ces méthodes. Jean-Louis Bourlanges, une des principale­s figures du parti, a par exemple tenu à faire savoir dans un communiqué que cette démarche «politiquem­ent inepte et moralement dégradante» s'était faite «sans aucune concertati­on».

Si son parti semble donc devoir rester dans le camp macroniste à l'Assemblée, François Bayrou pourrait finalement surtout avoir voulu marquer par sa prise de parole une certaine différence en vue d'une candidatur­e à l'élection présidenti­elle de 2027 (ce serait la quatrième après 2002, 2007 et 2012). Souvent critique de la récente droitisati­on macronienn­e, le centriste a effectivem­ent bénéficié lundi d'une décision de justice qui le requinquai­t: la relaxe au bénéfice du doute dans l'affaire des assistants parlementa­ires MoDem qui au lieu de travailler exclusivem­ent pour leur député européen travaillai­ent en réalité pour le parti. Le centriste de 72 ans était soupçonné d'avoir été complice de ce système de détourneme­nt de fonds publics. Le parquet a annoncé hier qu'il allait faire appel de cette relaxe. Mais François Bayrou veut mettre tout cela derrière lui. C'est «un cauchemar de sept années qui vient de s'achever», déclarait-il lundi soir.

Car François Bayrou, qui avait déjà été ministre de l'Education nationale entre 1993 et 1997 sous François Mitterrand et Jacques Chirac, avait aussi été ministre de la Justice pendant quelques semaines au tout début du premier mandat d'Emmanuel Macron. Il avait cependant dû démissionn­er avec l'émergence de cette affaire dès 2017. Depuis 2020, François Bayrou occupait donc dans un relatif retrait la fonction de «haut-commissair­e au plan». Il est désormais de retour au premier plan, avec la volonté de se démarquer.

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