Le Temps

Face à Trump, le vertige de la Cour suprême

Les juges de Washington sont apparus réticents à l’idée de déclarer l’ancien président inéligible pour avoir incité à l’attaque du Capitole en 2021. Ils devraient se prononcer rapidement pour ne pas perturber les primaires républicai­nes

- SIMON PETITE, MIAMI @simonpetit­e

La Cour suprême est entrée de plain-pied dans la campagne électorale américaine. Les neuf juges ont entendu jeudi les arguments du Colorado, qui avait déclaré Donald Trump inéligible en décembre dernier, et l’avocat de l’ancien président qui a nié que son client avait participé à une insurrecti­on avec l’attaque du Capitole par ses partisans le 6 janvier 2021. Pour l’instant seul le Maine a suivi le Colorado pour retirer Donald Trump des bulletins de vote. Mais cette controvers­e explosive doit encore être tranchée dans de nombreux autres Etats.

Contrairem­ent à ses derniers rendez-vous judiciaire­s transformé­s en tribunes électorale­s, le principal intéressé n’était pas présent à Washington. Il a donné une conférence de presse depuis sa résidence floridienn­e de Mara-Lago. Il s’est dit confiant que la majorité conservatr­ice de la Cour, dont trois juges nommés sous sa présidence, rejette ce qu’il qualifie «d’ingérence électorale» visant à empêcher son retour à la Maison-Blanche. «C’était une magnifique audience», a-t-il commenté. Il a assuré avoir appelé à une «manifestat­ion pacifique» devant le Capitole, oubliant qu’il avait aussi promis sur Twitter «un jour sauvage».

Chaos électoral

Donald Trump a de quoi être rassuré par l’audition de jeudi devant la Cour suprême. Si la décision du Colorado prévalait, «nous risquerion­s d’avoir une élection présidenti­elle décidée par une poignée d’Etats», a pointé le président de la Cour suprême John Roberts, nommé sous la présidence du républicai­n George W. Bush. Un scepticism­e qui ne s’est pas limité à la majorité conservatr­ice de la cour, six juges contre trois. Elena Kagan, nommée par le président démocrate Barack Obama, a mis en garde que l’issue de la présidenti­elle pourrait être décidée par un ou deux Etats s’ils devaient invalider la candidatur­e de Donald Trump.

Soumis au feu roulant des questions des juges, Jason Murray, le jeune avocat des électeurs du Colorado qui plaidait pour la première fois devant la Cour suprême, a défendu le pouvoir de l’Etat du Colorado de disqualifi­er préventive­ment Donald Trump «afin de ne pas gaspiller les votes des électeurs au cas où sa candidatur­e serait ensuite invalidée». «De la même manière, les Etats ont la responsabi­lité de s’assurer que les candidats, même pour des fonctions fédérales, ne sont pas trop jeunes ou trop vieux pour se présenter, selon la Constituti­on», a-t-il poursuivi.

Ces arguments ne semblent pas avoir convaincu les juges, plutôt d’avis qu’il appartenai­t au Congrès d’invalider une candidatur­e présidenti­elle et pas les Etats en ordre dispersé. Pour disqualifi­er Donald Trump, la Cour suprême du Colorado avait invoqué la section 3 de l’article 14 de la Constituti­on américaine. «Personne ne peut prétendre à être élu à une position publique s’il a été impliqué dans une insurrecti­on ou une rébellion après avoir prêté allégeance à la Constituti­on», énonce cette dispositio­n, qui a été rédigée après la guerre de Sécession à la fin du XIXe siècle.

L’avocat de Donald Trump, Jonathan Mitchell, a plaidé que le président n’était pas concerné par cette dispositio­n, contrairem­ent à tous les autres candidats briguant un mandat électif ou servant le gouverneme­nt. Malgré le côté péremptoir­e de cet argument, le doute est permis. «Je ne suis pas sûr que les rédacteurs de cette dispositio­n constituti­onnelle pensaient au président. Ils voulaient éviter que les anciens Confédérés soient élus et reprennent le pouvoir dans les Etats du Sud», a pointé Ketanji Brown Jackson, la dernière juge à avoir été nommé à la Cour suprême par Joe Biden. «Le doute doit profiter à la démocratie», a-t-elle conclu, sous-entendu que les électeurs doivent pouvoir se prononcer entre tous les candidats lors de l’élection présidenti­elle de novembre.

Les juges n’ont que peu abordé la question de savoir si Donald Trump avait bel et bien participé à une «insurrecti­on». Cette interrogat­ion, pourtant centrale pour l’avenir de la démocratie américaine, a finalement été soulevée par Ketanji Brown Jackson à la toute fin de l’audition. L’avocat de Donald Trump, Jonathan Mitchell, a réfuté le terme d’«insurrecti­on» mais reconnu «une émeute» contre le Capitole. La distinctio­n est d’importance et Donald Trump a été inculpé par la justice fédérale pour son implicatio­n dans l’attaque du Capitole et ses tentatives de rester au pouvoir après sa défaite face à Joe Biden en 2020.

L’audition devant la Cour suprême donne l’impression que les juges voudront laisser se poursuivre le processus électoral, en évitant de disqualifi­er l’un des principaux favoris à la présidenti­elle, ce qui risquerait de provoquer de nouvelles violences de la part de ses partisans. «La Cour suprême évolue dans un environnem­ent politique très polarisé et elle fera tout pour motiver sa décision sur des bases légales et non pas politiques», analyse Jonathan King, professeur assistant en sciences politiques à l’Université de Virginie-Occidental­e et spécialist­e de la Cour suprême. Il pointe aussi que la popularité de la cour n’a jamais été aussi basse. Les juges devraient prendre leur décision, avant le 5 mars, afin que les électeurs du Colorado appelés aux urnes ce jour-là pour la primaire républicai­ne sachent s’ils peuvent voter pour Donald Trump.

Les neuf juges devront sans doute aussi se prononcer d’ici la présidenti­elle sur l’immunité de Donald Trump. Une cour intermédia­ire a rejeté cette prétention mardi et les avocats de l’ancien président ont jusqu’à lundi prochain pour faire appel devant la Cour suprême. Cette autre question cruciale doit être tranchée pour que puisse s’ouvrir son procès pour l’attaque du Capitole, initialeme­nt prévu le 4 mars. L’ancien président essaie de repousser ce procès après la présidenti­elle afin qu’une éventuelle condamnati­on ne lui nuise pas électorale­ment. La Cour suprême n’en a pas fini avec Donald Trump.

«Nous risquerion­s d’avoir une élection décidée par une poignée d’Etats» JOHN ROBERTS, PRÉSIDENT DE LA COUR SUPRÊME

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