La grève des enseignants finit sur un match nul
La conseillère d’Etat Anne Hiltpold a manqué l’opportunité de rafler la mise, tandis que les syndicats se sont montrés maladroits politiquement. Reste la possibilité de prendre un peu de hauteur dans l’intérêt du cycle d’orientation
C’est un de ces épisodes dont Genève a le secret: une grande agitation, un conflit social qui paraît inextricable, des accusations farfelues qui fusent de part et d’autre, puis, enfin, la survenue tardive, mais pas hors délai, de la raison. Au bout de trois jours, la grève des enseignants genevois du cycle d’orientation (CO) s’est ainsi achevée mercredi. Elle débouche sur l’ouverture de négociations entre la conseillère d’Etat Anne Hiltpold et les représentants du corps enseignant, dont la Famco, qui rassemble un gros tiers des 1800 membres de l’effectif du CO.
Au centre des négociations figure «la mise en oeuvre» d’ici à 2027 d’une mesure controversée, à savoir les deux périodes d’enseignement supplémentaires prévues au plan financier quadriennal (PFQ). Ce dialogue a aussi pour but de définir les contours de la future réforme du CO, précise le Département de l’instruction publique (DIP). Dans le conflit social, cette refonte très attendue, à la suite du rejet en votation populaire d’une précédente tentative en 2022, était en quelque sorte l’éléphant dans la pièce, comme disent les Anglo-Saxons. A cet effet, la magistrate PLR a proposé une rencontre mensuelle jusqu’en juin, la première ayant lieu lundi prochain. Sans compter que jeudi prochain, elle détaillera sa feuille de route pour les quatre années à venir.
Deux concessions
En échange de la levée de la grève, Anne Hiltpold a offert deux concessions. Primo, elle s’engage à combattre un projet de loi de son propre parti, qui prévoit une hausse de six périodes, tandis qu’elle promettait seulement de demander son renvoi en commission quelques jours plus tôt. Secundo, elle demandera à la Commission des finances un crédit supplémentaire pour obtenir les postes que la majorité, dont fait partie le PLR, a refusés lors du budget en décembre dernier. Là, en revanche, rien de nouveau, puisqu’elle l’avait déjà déclaré au Temps.
Dans la Tribune de Genève, la conseillère d’Etat chargée du DIP, s’est dite satisfaite et réjouie que les syndicats aient accepté sa «proposition de venir négocier». Dans de tels cas, il faut bien entendu que chacun puisse sauver la face. Mais le fait est que la grève aurait pu être évitée.
«Sanctions discutées»
La semaine dernière, la Famco avait compris qu’Anne Hiltpold ne gèlerait pas la mesure, essentiellement pour des raisons techniques puisque le PFQ n’est révisé qu’une fois par année par le Conseil d’Etat, d’après les éléments recueillis par Le Temps. On verra bien ce qu’il en sera lors du prochain budget. Dès lors, le syndicat avait demandé qu’elle s’engage à ne pas augmenter le temps d’enseignement «tant que les travaux de réflexion sur le CO n’auront pas été menés», eux-mêmes renonçant en contrepartie «aux mesures de lutte». Et c’est exactement sur cette issue que débouche le conflit.
De leur côté, les enseignants se sont réunis – au nombre de 1500 selon la police – jeudi de la semaine dernière devant l’Hôtel de Ville, où se tenait la session du Grand Conseil. Se sentant pousser des ailes, certains d’entre eux se sont autorisés à puiser dans les fichiers du DIP pour écrire aux parents, afin de leur expliquer pourquoi «l’avenir éducatif» de leurs enfants était en péril. Une faute, un acte illégal même, si bien que le DIP a pu se jeter dans la brèche et brandir la menace de sanctions. La magistrate a refusé d’y renoncer, alors que les syndicats l’exigeaient en échange d’un éventuel accord. Pourtant, ces sanctions feront à n’en pas douter partie des négociations qui s’ouvrent, confirme Michaël Savoy, du bureau de la Famco, ajoutant que ces collègues «ont sans doute commis une erreur mais ne méritent pas que l’on s’acharne sur eux». A ce stade, le DIP dément: «Les sanctions seront examinées au cas par cas. Mais la magistrate a été claire: personne n’est au-dessus des lois.»
Surtout, la Famco s’est montrée maladroite, notamment en minimisant l’importance des évaluations communes (Evacom) qui se tenaient durant la grève, montrant peu d’égards pour les élèves qu’elle dit défendre. Une source proche du conflit social admoneste sévèrement: «L’opinion publique était défavorable en raison de cette communication erratique, alors que sur le fond, la population soutient un enseignement de qualité. La Famco fonctionne comme une entité corporatiste amateur et non comme un syndicat comprenant les subtilités de la politique.» Elle n’aurait ainsi pas percuté que face à la force actuelle du bloc de droite, notamment au Grand Conseil, une dose de subtilité s’impose. C’est aussi ce que pense le DIP, estimant que la mesure constitue «un compromis raisonnable» par rapport au projet de loi du PLR.
«Nous n’avons pas minimisé le stress sur les élèves»
Un véritable ordre de marche obligeait les enseignants réquisitionnés à surveiller les examens
Michaël Savoy reconnaît sans peine certaines erreurs, mais réfute toute légèreté sur les Evacom: «Nous n’avons pas minimisé le stress sur les élèves, mais rappelé qu’elles ne pèsent pas lourd dans la moyenne annuelle. Par ailleurs, notre préavis de grève a été déposé deux semaines avant, ce qui laissait au DIP le temps de s’organiser.»
Le département, justement, a pris son temps pour brandir une solution juridique permettant à la fois d’atténuer la mobilisation et de maintenir les Evacom: les réquisitions. Ce véritable ordre de marche obligeait, sous peine de commettre une faute grave, les enseignants réquisitionnés à surveiller les examens. Outrés par ce qu’ils considèrent comme une atteinte illicite au droit de grève, les syndicats ont exigé mardi que le Conseil d’Etat en constate le «caractère illégal». La situation était en passe de s’envenimer; c’est alors que la conseillère d’Etat a proposé, une nouvelle fois, d’ouvrir les négociations.
Tout ça pour ça? «Sans doute était-ce nécessaire pour se mettre à discuter sérieusement», résume Michaël Savoy. Lequel ajoute que «cela ne sera pas simple», mais se réjouit de découvrir la vision qu’a Anne Hiltpold de l’école publique. ■