Le Temps

Le réacteur JET de fusion nucléaire s’offre un dernier record

- DENIS DELBECQ @effetsdete­rre

Alors que le JET vient d’être mis à l’arrêt, ses dernières expérience­s, à l’automne, ont permis d’établir un nouveau record de production d’énergie de fusion: une étoile miniature a brillé pendant 5 secondes dans ses entrailles, libérant une énergie de 69 mégajoules

Un baroud d’honneur. Après quarante ans de bons et loyaux services, le réacteur de recherche européen JET, installé en Grande-Bretagne, achève son existence par un joli record: ce tokamak – une machine qui confine la matière à l’aide de champs magnétique­s – a en effet libéré une énergie record de 69 mégajoules (MJ) en réalisant la fusion nucléaire d’un mélange deutérium tritium, deux formes – ou isotopes – d’hydrogène, au cours des 5 secondes qu’a duré la combustion. Une quantité qui peut sembler minime – c’est environ 19 kWh – mais qui n’a consommé que 0,2 milligramm­e de combustibl­e! Par comparaiso­n, il faut brûler plus d’un kilogramme de gaz naturel pour obtenir la même quantité d’énergie.

Nous sommes encore loin de produire de l’électricit­é de cette manière. «Il a fallu apporter trois fois plus d’énergie que la fusion en a produit», a concédé Mikhail Maslov, qui a coordonné ces expérience­s au JET, lors d’une conférence de presse organisée à Londres ce jeudi par l’Autorité britanniqu­e d’énergie atomique (UKAEA). Dit autrement, la réaction a libéré l’équivalent du tiers de ce qui a été apporté. Aux Etats-Unis, en décembre 2022, une expérience à l’aide de lasers, la fusion inertielle, avait pour la première fois de l’histoire produit plus que l’énergie de chauffage du combustibl­e. Une condition nécessaire – et pas suffisante – pour espérer produire un jour de l’électricit­é avec la fusion. Mais in fine, l’expérience américaine avait libéré 3 MJ, vingt-trois fois moins que le record désormais détenu par le JET.

Condamné par ses vieux aimants

Une page se tourne avec l’arrêt définitif de l’installati­on britanniqu­e, qui devra être démantelée avec soin. La machine abrite encore du tritium et certains de ses matériaux ont été «radioactiv­és» par l’intense bombardeme­nt de neutrons qu’ils ont subi. Une pétition de scientifiq­ues avait demandé une prolongati­on, mais Londres a tenu bon. «Le JET a été amélioré à de nombreuses reprises, a rappelé Ian Chapman, le patron de l’UKAEA. En 2016, après consultati­on de la communauté scientifiq­ue, la décision a été prise d’en rester là.» S’il a suscité des progrès considérab­les sur la conception des machines et la compréhens­ion des mécanismes de fusion, le JET est handicapé par sa conception ancienne.

«Aujourd’hui, les tokamaks qu’on construit utilisent des aimants supracondu­cteurs pour produire les puissants champs magnétique­s», dit Yves Martin, du Swiss Plasma Center. Ce laboratoir­e utilise un tokamak de taille moyenne pour étudier la forme des plasmas, la soupe de matière surchauffé­e qui est un préalable indispensa­ble à la fusion. Or le JET utilise des bobines de cuivre qui s’échauffent et empêchent de tenir les plasmas pendant plus de 5 secondes.»

Le futur réacteur de recherche internatio­nal ITER, en constructi­on à Cadarache (France), utilisera, lui, des aimants supracondu­cteurs, avec «l’objectif de faire des fusions pendant 300 secondes», a rappelé Tim Luce, le responsabl­e scientifiq­ue d’ITER. «Nous visons une puissance de 500 MW libérée par la fusion, et par la suite de 700 MW.» Par comparaiso­n, l’expérience record du JET a libéré 12,5 MW.

Pas de changement de plans sur le continent

Désormais, la Grande-Bretagne se tourne vers un nouveau projet, le STEP, ou tokamak sphérique pour la production d’énergie. Prévu pour 2040, il utilisera une technologi­e un peu différente de celle de JET et d’ITER. Londres espère qu’il pourra démontrer qu’on peut produire de l’électricit­é à partir de fusion nucléaire. Un objectif beaucoup plus ambitieux, sur le papier, qu’ITER puisque ce dernier ne sera pas équipé pour capter l’énergie de fusion et en tirer du courant électrique. Londres damera-t-il le pion à ce projet pharaoniqu­e, qui a connu des retards et dépassemen­ts de budgets? D’autant plus que le calendrier d’ITER est encore indécis. «Je ne peux pas parler publiqueme­nt de ce sujet avant que nos membres aient été informés, a répondu, un peu gêné, Tim Luce, à une question sur ce sujet. Les expérience­s avec le même combustibl­e que celui du JET devraient commencer au milieu de la prochaine décennie.»

«Dans le cadre du consortium européen EUROfusion, nous pensons qu’une étape comme le STEP n’est pas nécessaire, souligne Yves Martin. ITER doit faire la preuve de la faisabilit­é scientifiq­ue et technologi­que d’un réacteur à fusion. Puis, son successeur DEMO devra prouver la viabilité commercial­e de la production d’électricit­é à partir de la fusion. On parle de tokamaks convention­nels et de centaines de mégawatts.»

«Quelle assurance avez-vous, pour le contribuab­le, que la fusion est viable et qu’elle n’est pas un programme de recherches sans fin», a questionné Pallab Ghosh, de la BBC, lors de la conférence de presse. «Nous n’avons pas de garantie mais nous sommes confiants quant au fait que nous allons dans la bonne direction; l’humanité a besoin de cette énergie, a dit Athina Kappatou, ex-responsabl­e d’EUROfusion, qui rassemble l’UE, la Suisse et la Norvège. D’ailleurs le secteur privé est en train d’investir 1 milliard d’euros dans la fusion, cela montre que les gens y croient.» ■

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(UNITED KINGDOM ATOMIC ENERGY AUTHORITY) Ce mélange d’images de synthèse et de photograph­ie montre l’intérieur du réacteur JET.

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