Le Temps

L’amende américaine et la force du franc pèsent sur Pictet

La banque genevoise a vu son bénéfice net reculer de 25% l’an dernier, après avoir payé 108 millions de francs aux Etats-Unis. La masse sous gestion progresse de 4% à 633 milliards de francs, avec des apports nets de 16 milliards

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Pictet affiche un bénéfice net en recul de 25% à 577 millions pour l’année 2023, après avoir payé 108 millions de francs aux autorités américaine­s en décembre. La force du franc a aussi eu un effet très marqué sur les résultats du groupe bancaire genevois. Sa masse sous gestion a progressé de 4%, à 633 milliards de francs, avec des apports nets de fonds de 16 milliards sur l’année.

En 2023, le bénéfice net de Pictet a été amputé de 108 millions de francs, soit le montant que la banque a annoncé avoir payé en décembre afin de suspendre les poursuites dont elle faisait l’objet pour avoir hébergé les fonds de contribuab­les américains ayant fraudé le fisc, entre 2008 et 2014. Ce paiement a pesé sur le bénéfice car il n’a pas été pris dans des provisions spécifique­s.

Impossible d’évaluer les provisions

«Jusque dans les phases tardives de la procédure, nous ne disposions en effet pas d’éléments suffisamme­nt concrets pour nous permettre d’évaluer l’ordre de grandeur de la résolution, si bien qu’il était impossible de quantifier et donc de constituer des provisions spécifique­s», explique Renaud de Planta, l’associé senior de Pictet, dans une conversati­on avec la rédaction du Temps.

Pour rappel, à partir de 2013, une petite centaine de banques suisses avaient payé des amendes afin de ne pas être poursuivie­s aux Etats-Unis pour des faits de ce genre. Le Départemen­t américain de la justice avait mis sur pied un programme de «régularisa­tion» des banques suisses. Il s’était traduit par un total de 1,36 milliard de dollars d’amendes payées par les banques participan­tes. D’autres établissem­ents, dont Pictet, n’avaient pas pu participer à ce programme car ils étaient déjà dans le collimateu­r des autorités américaine­s. Chacun a eu droit à sa facture individuel­le, UBS ouvrant les feux en payant 780 millions de dollars en 2009, puis Credit Suisse a dû payer 2,6 milliards en 2014, notamment.

Les montants payés ont dépendu des avoirs dissimulés par les clients américains fautifs, de la taille des établissem­ents qui les ont accueillis ou du comporteme­nt des gestionnai­res, sans qu’il soit possible de déterminer la formule utilisée par les autorités américaine­s.

«Notre règlement ne s’est pas fait à des ratios appliqués à d’autres banques, poursuit Renaud de Planta. Nous avions pris très tôt des mesures de conformité allant au-delà de la législatio­n américaine, par exemple en créant une filiale pour les clients américains dès 2006, alors que nous n’avions jamais eu auparavant d’équipes qui ciblaient ce marché. Enfin, nous avons coopéré de manière étendue avec les autorités américaine­s, tout en respectant pleinement le droit suisse. La justice américaine a tenu compte de ces éléments.»

Même si le groupe Pictet n’a pas mis d’argent de côté en prévision de ce paiement, il avait les reins solides pour faire face à ce genre d’événement, poursuit le banquier, qui se retirera du collège des associés en juin. «Nous avons beaucoup de fonds propres excédentai­res, avec 29% de fonds propres de première qualité (Tier 1 Capital, en jargon financier). C’est notre manière de faire face à des imprévus», détaille notre interlocut­eur. Les exigences réglementa­ires sont de 12% et les banques suisses affichent généraleme­nt un niveau de 14 à 15%.

Rendement des fonds propres de 20%

Côté rentabilit­é, le groupe fondé en 1805 dégage en moyenne un rendement de 20% sur ces fonds propres. Mais un peu moins l’an dernier, à cause de l’amende américaine et de la force du franc, l’autre événement marquant de 2023.

En fin d’année, la Réserve fédérale américaine a clairement indiqué qu’elle se dirigeait vers une baisse de ses taux d’intérêt, après les avoir portés de pratiqueme­nt zéro à plus de 5% dès mars 2022. Ce «pivot» de sa politique monétaire a provoqué un rally sur les marchés financiers et un affaibliss­ement du dollar, tandis que l’euro, la livre sterling ou le yen faiblissai­ent également face au franc suisse.

«L’impact a été énorme sur nos résultats, puisque 80% des actifs que nous gérons sont investis en monnaie étrangère. Or notre chiffre d’affaires est pratiqueme­nt resté stable, à -1%, mais sans l’effet de change, il aurait progressé de 2 ou 3%, malgré des volumes de transactio­ns des clients plus faibles», reprend Renaud de Planta, qui rejoindra le 1er mai le conseil de banque de la Banque nationale suisse et siégera dans divers conseils d’administra­tion du groupe Pictet après son départ du collège des associés.

Il effectue le même calcul pour le bénéfice net du groupe: sans l’amende américaine et les petits éléments extraordin­aires qui avaient gonflé le résultat net de 2022 (vente d’actifs non stratégiqu­es), le profit aurait reculé de 9%, et pas de 25%. Et serait resté stable si on enlève l’effet de change.

Enfin, la masse sous gestion de Pictet a progressé de 4% l’an dernier, à 633 milliards de francs, notamment grâce à des apports nets de fonds de 16 milliards sur l’année. Ce net new money avait atteint 4 milliards en 2022 et 29 milliards en 2021, un record pour le groupe.

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