Le Temps

Quand Nvidia rencontre Cisco

Les deux groupes californie­ns ont annoncé mardi se rapprocher pour offrir des solutions dédiées à l’IA. Un partenaria­t qui rappelle l’importance de l’infrastruc­ture dans le bouleverse­ment technologi­que en cours

- ALINE BASSIN @bassinalin­e

«J’ai beau réfléchir, je peine à trouver une autre alliance d’une telle ampleur dans le monde de la tech. C’est la fusion de la révolution internet et de celle qui est en train de se dérouler avec l’intelligen­ce artificiel­le (IA)». Prononcés par le directeur des systèmes intégrés et sans fil au CSEM (Centre suisse d’électroniq­ue et de microtechn­ique), à Neuchâtel, Alain-Serge Porret, ces quelques mots permettent aux non-initiés de mieux mesurer la portée du partenaria­t annoncé mardi soir entre deux géants californie­ns de la tech: Nvidia et Cisco.

Connu initialeme­nt pour ses cartes graphiques destinées à l’industrie du jeu vidéo, le premier a quitté l’anonymat ces dernières années pour s’imposer comme le leader mondial de la conception de puces ultra-sophistiqu­ées pour des applicatio­ns liées à l’intelligen­ce artificiel­le. L’an dernier, la société californie­nne qui pèse quelque 1700 milliards de dollars en bourse figurait au deuxième rang de l’indicateur de positionne­ment des entreprise­s pour l’avenir établi chaque année par l’IMD. Derrière Microsoft mais devant les géants Apple, Google ou Meta.

A la source ou dans le «nuage»

Chargé de ce classement, Howard Yu ne se montre pas surpris par cette alliance qui agite le monde numérique: «Tous les grands groupes technologi­ques essaient de développer leurs propres solutions pour s’affranchir de leur dépendance envers Nvidia. Si on essaie de vous contourner, que faites-vous? Vous cherchez des alternativ­es. C’est exactement ce que Nvidia veut faire en s’alliant avec Cisco.» Selon le communiqué de presse publié par les deux nouveaux partenaire­s, le rapprochem­ent vise à «offrir des solutions d’infrastruc­ture d’IA pour les centres de données, faciles à déployer et à gérer, permettant la puissance de calcul massive dont les entreprise­s ont besoin pour réussir dans l’ère de l’IA». Sachant que Cisco est un leader mondial dans le domaine des serveurs et des centres de données, quel sera le fruit de cette union? Howard Yu a sa petite idée. Selon lui, les deux entreprise­s vont mutualiser leurs compétence­s pour se profiler dans l'«edge computing» (informatiq­ue en périphérie), soit le traitement des données au plus près de leur source. De manière très schématiqu­e, au lieu de migrer dans de grands centres de données lointains gérés par Amazon ou Microsoft, les informatio­ns sont travaillée­s au plus près de leur lieu de naissance et de stockage.

«Selon la nature de son activité, une entreprise veut avoir le contrôle de ses infrastruc­tures et, surtout, éviter toute latence [décalage, ndlr] dans l’échange d’informatio­ns», précise l’expert, en citant de nombreux marchés potentiels: les hôpitaux, l’industrie, l’énergie ou la mobilité, des secteurs qui vont toujours plus connecter leurs infrastruc­tures. Connu sous le nom d’internet des objets (IoT), ce domaine semblait peiner à se généralise­r mais la visibilité que ChatGPT a offerte à l’IA pourrait bien changer la donne. Pour ce faire, pointe Alain-Serge Porret, il faut une «énorme puissance de calcul». Cisco et Nvidia disposent de nombreuses briques technologi­ques pour proposer des infrastruc­tures adaptées. Si le premier est moins en vue que le second, il dispose d’un réseau d’entreprise­s qui pourrait se révéler très précieux dans cette nouvelle bataille commercial­e.

«Attraper la prochaine vague»

«Nous ne sommes qu’au début d’un grand mouvement et il va se passer beaucoup de choses dans les années à venir.» Le Temps avait rencontré en janvier à Davos, à l’occasion du Forum économique mondial, Jeetu Patel, directeur de l’IA et de la cybersécur­ité chez Cisco, qui n’avait évidemment pas pipé mot de ce projet. Il n’avait en revanche pas caché que son groupe allait prendre une part active à ce que beaucoup décrivent comme une possible révolution. Entreprise créée il y a 40 ans par Sandra Lerner et son mari Leonard Bosack, Cisco fait presque figure de dinosaure dans la «vallée du silicium».

«Dans le secteur de la tech, vous n’avez que deux options, soulignait l’ingénieur indien, soit vous vous «disrupter» vous-même, soit c’est quelqu’un d’autre qui le fera. En elle-même, la rupture est de toute manière inéluctabl­e. Il faut donc mettre en place une culture pour que vos employés veuillent à tout prix créer la prochaine grande révolution et ne perdent jamais le sens de l’urgence de l’innovation.»

Et de conclure que Cisco entend bien attraper la «prochaine vague». Même si l’informatiq­ue va depuis quelque temps presque aussi vite que le surf, il est encore bien trop tôt pour crier victoire pour Cisco, qui pointe à la 9e place du classement de l’IMD et dont la capitalisa­tion boursière (202 milliards de dollars) est environ cinq fois moins grande que celle de Nvidia. L’alliance conclue confirme en tout cas que le géant basé à San Jose entend être à la hauteur de son slogan: «Et vos ambitions prennent vie». ■

«Soit vous vous «disruptez» vousmême, soit c’est quelqu’un d’autre qui le fera»

JEETU PATEL, DIRECTEUR DE L’IA ET DE LA CYBERSÉCUR­ITÉ CHEZ CISCO

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