Le Temps

Marguerite Thiam fait danser les ombres

En concert ce samedi à Villars dans le cadre des MJF Spotlight Sessions, le nouveau phénomène de la pop française, 23 ans, exorcise les plaies de l’adolescenc­e à travers une électro-pop puissante. Un jeune talent à ne pas rater avant qu’il explose

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_nb

C’est une sensation un peu étourdissa­nte. Celle d’assister à la naissance de quelque chose de grand, comme un astronome qui apercevrai­t, dans son télescope, une comète en train de gagner en vitesse. Marguerite Thiam a 23 ans et tout d’un astéroïde prêt à frapper la planète pop. Si son Spotify n’affiche qu’un EP sorti l’automne dernier, la Française à l’univers sombre et dansant a déjà orbité du côté de Rock en Seine ou de La Cigale, en première partie de sa contempora­ine Emma Peters. Comme les grands, son morceau phare, a l’intensité hypnotique d’un trou noir.

Une trajectoir­e courte mais céleste, comme le confirme le Montreux Jazz Festival en l’invitant sur la scène des MJF Spotlight Sessions, festival d’artistes émergents déployé sur trois week-ends à Villars-sur-Ollon. Marguerite Thiam s’y produira ce samedi dans l’intimité feutrée du Villars Palace, quelques jours avant la sensation rap-soul Yamê, Maria José Llergo et sa pop flamenca ou encore, début mars, la folk nostalgiqu­e de l’Irlandaise Holly Macve.

Au nom de Duras

Marguerite Thiam s’exclame au bout du fil, couvrant le brouhaha de la rue. «J’adore la Suisse, je suis trop contente d’aller là-haut, ça a l’air sublime!» Là, face aux Alpes vaudoises, certains reconnaîtr­ont peut-être son visage. Car avant la musique, la jeune Parisienne a côtoyé les caméras. En tant qu’actrice, dans la série Les 7 Vies de Léa (distribuée par Netflix), le film Grand Paris (2023) de Martin Jauvat ou encore dans un clip des Rolling Stones, Living in the Heart of Love, où elle joue une fêtarde en goguette. Avant d’officier en tant que réalisatri­ce, notamment du court métrage Les Primates (2022), qui raconte le consenteme­nt du point de vue des agresseurs – «puisque ce sont eux qu’on met en lumière, et qui s’en sortent toujours». Marguerite Thiam est de cette jeunesse que ce monde injuste et étriqué révolte.

Mais avant l’image, il y a eu les mots qui frappent. Celle qui a longtemps arpenté les courts de tennis sur le mode sport-études est tombée dans la littératur­e en internat catholique. «On n’avait pas le droit au téléphone alors la seule issue, c’était la lecture.» S’évader à travers les histoires des autres, dont celles de Marguerite Duras, à qui elle doit son prénom. «C’était l’idole de ma mère, il y avait même des photos d’elle chez nous!» A 15 ans, la lycéenne veut prendre la plume, romancer son existence, son adolescenc­e difficile. Elle écrit un livre qui ne paraîtra jamais… et sera renvoyée de l’internat.

Fille d’un comédien de théâtre dont elle ne pensait pas suivre les traces («j’ai vu ce que pouvaient être les échecs dans ce milieu»), Marguerite est repérée un jour, dans la rue, et tout s’enchaîne – castings, agent, projets. «Mais à cet âge-là, c’était un peu un truc d’ego, je disais: «J’ai envie d’être actrice» comme on pourrait dire: «Je veux devenir pompier.» Surtout, elle réalise que le cinéma est une voie parmi d’autres pour exprimer ce qui l’habite. Alors pourquoi pas en musique?

Ça tombe bien, son frère Aliou est DJ et l’invite sur un titre en 2019 – c’est le déclic. Durant le confinemen­t, chez leur mère, ils lui cherchent un univers. «Au départ, je voulais être une petite meuf qui chante des petites chansons d’amour. Même si c’était à l’encontre de qui je suis.» La rencontre avec Twinsmatic, producteur de Damso, Booba ou Christine and the Queens, sera déterminan­te. «Je lui ai raconté ma vie et il a sorti des notes hyper dark, caractérie­lles: on a trouvé la couleur de l’EP.»

Un gris tranché, métallique, pour un son électro flottant qui oscille entre pop, rap, et drum’n’bass. Des teintes sépia aussi, dans les sept titres de Comme les grands. Parce que Marguerite Thiam y souffle ses souvenirs – ceux d’une jeunesse douloureus­e, tourmentée. Disciple de Billie Eilish, elle assume la noirceur autobiogra­phique, les vérités qui glacent, aime l’idée d’une fille qui rage, qui appelle un chat un chat. Avec son frère aux manettes, elle chante la violence et l’alcool à la maison («Un coup qui rend folle/Deux boîtes de Tramadol/Trois pompiers dans l’appart/ Maman j’ai tout gâché»), la coke, la haine. «On aurait pu faire un piano-voix triste mais on n’avait pas envie de se lamenter. On voulait quelque chose de badass, sortir du côté victime. Pour aider à garder le cap, donner la force de pardonner, d’avancer. Pour dire que nos vies ne sont pas définies par nos drames.»

Le sang gicle

Alors les cauchemars, les siens, les nôtres, s’exorcisent à coups de beats obsédants ou galopants: l’amour infidèle sur fond de drum’n’bass (Plus rien n’est grave),

les dangers d’une société patriarcal­e (Quand la nuit tombe). Dans le clip, elle joue une fille qui traque jusque dans sa villa l’homme qui lui a fait du mal. C’est l’heure de la vengeance, le sang gicle à la fin. «Et encore, on s’est calmés sur le synposis parce qu’on nous a dit qu’on risquait d’être censurés…»

Marguerite Thiam, elle, n’a peur de rien – à part peut-être de l’étiquette de «chanteuse». Elle insiste: sa voix, qu’elle apprend encore à dompter, n’est qu’une facette du projet plus grand porté sur scène avec son frère. Avant de rigoler: «Je ne vais pas commencer à faire les trucs de guitare à la plage et tout, c’est mort!» Mais à la montagne samedi soir, le phénomène Thiam fera sans aucun doute vibrer les murs et les corps. ■

En concert à Villars dans le cadre des MJF Spotlight Sessions, théâtre du Villars Palace, sa 10 février à 20h. Le festival se poursuit jusqu’au 2 mars, avec des concerts tous les vendredis et samedi soirs.

«Je voulais être une petite meuf qui chante des petites chansons d’amour. Même si c’était à l’encontre de qui je suis»

MARGUERITE THIAM, AUTRICE-COMPOSITRI­CE

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(10 NOVEMBRE 2023/PAULINE BAJAK) Marguerite Thiam est passée par le cinéma – elle a notamment un court métrage à son actif.

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