Le Temps

Trois danseurs alpinistes subjuguent le public d’Antigel

Ils skient, s’encordent et affrontent d’impossible­s faces nord. Dans «White Out» à l’Usine à Gaz de Nyon, la montagne a vibré sur le plateau grâce à Piergiorgi­o Milano

- MARIE-PIERRE GENECAND

«Je gravis les sommets pour savoir ce que j’ai au plus profond de moi.» Au moment où Piergiorgi­o Milano se confie ainsi en voix off, le danseur est suspendu dans les airs et évolue avec grâce dans les rayons d’une boule à facettes tandis que Lou Reed chante «It must be nice to disappear». Disparaîtr­e. C’est la menace qui plane sur tous ces alpinistes un peu givrés qui s’attaquent à plus grand, bien plus grand qu’eux.

Dans White Out, les effets sonores et visuels restituent parfaiteme­nt les conditions extrêmes endurées par ces passionnés pour décrocher le graal. Vent et neige à l’horizontal­e, tensions d’avant l’ascension, froid glacial: confortabl­ement assis dans leur siège, les spectateur­s de l’Usine à Gaz sont projetés en haute montagne et savourent l’émoi monumental.

L’humain n’est rien

«En alpinisme, l’expression «white out» désigne la perte totale de repères causée par une uniformité entre ciel et terre», explique le site du Théâtre du Passage où ce spectacle a déjà été donné en novembre 2022. Cet effet bluffant, qui empêche tout mouvement, se produit quand la neige et les nuages créent une distorsion dans le reflet de la lumière.

Dans White Out, spectacle invité par l’Usine à Gaz et le festival Antigel, on comprend d’emblée que l’humain n’est rien lorsque les éléments se déchaînent. La première (et longue) scène montre un rescapé portant à bout de bras ses deux camarades inanimés et sans doute gelés. Face au tir groupé de vent glacé et de neige soufflée, le valeureux avance péniblemen­t et finit par s’écrouler.

Heureuseme­nt, le flash-back de cette expédition est plus joyeux. De retour à la nuit qui précède l’ascension, on plonge cette fois dans le cerveau des trois alpinistes pour assister à leurs rêves allumés. L’un se livre à un ballet sur skis et, de fait, ses lattes déployées en scène le projettent dans des arabesques inédites.

On plonge cette fois dans le cerveau des trois alpinistes pour assister à leurs rêves allumés

Un autre se voit éjecté de la tente en sous-vêtements et, après une danse-transe dans la nuit gelée, est sauvé par un monstre à barbe rouge. Tandis que le troisième a une obsession: bouger de manière survoltée sur Money For Nothing, tube de Dire Straits que la salle enjouée se plaît à entonner.

Entre l’effort, le froid et le manque d’oxygène en altitude, la montagne fait parfois délirer. Aux côtés de Piergiorgi­o Milano, Javier Varela Carrera et Luca Torrenzier­i traduisent à merveille cette perte de contrôle dans des évolutions inspirées de la street dance, qui tournoient, voltigent, et, par leurs vrilles sur les épaules et la tête, donnent le vertige.

Sauts et acrobaties

«L’alpinisme n’est pas un sport de combat, dit le narrateur, c’est une oeuvre d’art.» En témoigne encore cette séquence où, encordés, les trois danseurs se hissent et se propulsent mutuelleme­nt dans un enchaîneme­nt virtuose de sauts et d’acrobaties.

On ne voit pas vraiment l’ascension à l’oeuvre, un exercice qui suppose sans doute plus de retenue et de discipline (!), mais le plaisir face à tant d’aisance et d’explosivit­é est entier. Mercredi soir, la salle bondée de l’Usine à Gaz n’a pas caché sa joie en ovationnan­t les trois allumés des sommets. ■

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland