Au Théâtre du Loup, la fureur de vivre à l’iranienne
Artiste suisse d’origine iranienne, Leili Yahr rend hommage à Genève aux résistantes en Iran ou exilées dans un spectacle musical qui touche, malgré des faiblesses de jeu
Rien ne tient vraiment dans Les Perses d’après Eschyle, à l’affiche à Genève avant Yverdon et Fribourg. Tout touche pourtant dans le spectacle de Leili Yahr, au Théâtre du Loup jusqu’à dimanche. L’artiste suisse d’origine irano-américaine entrelace une tragédie jouée à Athènes pour la première fois au Ve siècle avant J.-C., et une histoire familiale, la sienne, envisagée au féminin. Entre ces matières, aucun rapport, sauf qu’il est question d’une déchirure persane dans les deux cas: la débâcle de l’armée de Xerxès à Salamine; l’exil de femmes iraniennes aujourd’hui, celui d’abord de la mère de Leili Yahr qui s’est établie en Suisse dans les années 1970.
Un somptueux manteau d’or
Sa fresque, Leili Yahr l’a voulue musicale et documentaire. Admirez la grande dame qui vous parle. Elle se joue du crépuscule qui la cerne, elle rayonne sur le tulle qui sert d’écran. C’est la mère de Leili filmée, une artiste peintre aux mille et un sortilèges. On la découvre à présent avec un jeune sportif bronzé comme à Miami, c’est son mari américain. Ces instantanés, le comédien José Ponce les commente en bordure d’arène, comme on tourne les pages d’un album de famille.
D’autres visages, d’autres libérations, se glisseront bientôt dans les mailles du récit. Mais pour le moment, Xerxès mobilise ses troupes, en route vers la Grèce. Cinq chanteuses chatoyantes dans leurs habits de cérémonie délivrent l’épopée, escortées par le violoncelliste Guillaume Bouillon, la harpiste Julie Sicre et le percussionniste Jérôme Solomon. Le dispositif est aussi sensible que charmeur. Une reine de légende attend son heure. C’est Atossa, mère de Xerxès, jouée par Mélina Martin. Elle revêt sous vos yeux un somptueux manteau or, le geste est théâtral, c’est l’un des plus beaux du spectacle.
Ces Perses touchent pour ces raisons-là. Pour ces tableaux naïfs qui sont ceux d’un livre de contes, rehaussés par une musique qui, sans jamais illustrer, calligraphie l’aventure – une oeuvre de Blaise Ubaldini. Pour ces interpolations encore où une Iranienne témoigne à l’écran de ses premiers jours en Suisse où tout s’allège, alors même que l’administration pèse comme un gros classeur fédéral sur ces libertés toutes fraîches. Leili Yahr déploie une généalogie qui s’enracine dans la figure d’Atossa et s’épanouit, au sommet de l’arbre, dans celle d’une Maryam, papillon sorti de la chrysalide de l’adolescence. Leur don commun? Une force face à l’adversité qui transcende les époques.
Eschyle flotte dans ses cothurnes
Il y a là l’ébauche d’une mythologie propitiatoire. En regard de cette ode aux courageuses, celle d’ici comme de Téhéran, les extraits d’Eschyle sont bien mièvres. José Ponce n’a pas la force tragique qui convient quand il joue le fantôme de Darius – père de Xerxès. Dans le rôle du messager, Simon Labarrière bouillonne sans trouver le feu sacré. Ces faiblesses de jeu déséquilibrent l’édifice. Eschyle flotte dans ses cothurnes.
Le présent réussit mieux à Leili Yahr. En apothéose, Maryam chante à l’écran et sa voix est celle d’un printemps libertaire. Son chant est une passerelle vers toutes ces téméraires qui, en Iran, avec la Prix Nobel de la paix Narges Mohammadi, défient l’obscurantisme des mollahs. Certaines font régulièrement le plein de poèmes, autant d’antidotes à la dépression, comme le raconte l’écrivain français François-Henri Désérable dans L’Usure d’un monde (Gallimard) formidable immersion dans un pays où la révolte est un gardefou. C’est cet espoir qu’on sent dans le spectacle. Toutes vulnérables qu’elles soient, les Persanes de Leili Yahr sont indestructibles. ■
Les Perses, Genève, Théâtre du Loup, jusqu’au 11 février; Yverdon, Théâtre Benno Besson, le 24 février; Villars-surGlâne (Fr), Nuithonie, 15 mars.
Il y a là l’ébauche d’une mythologie propitiatoire