Dans l’affaire Godel, la défense plaide la liberté d’opinion et de presse
L’ex-président du Conseil d’Etat fribourgeois a fait condamner en mars 2023 le journaliste Jean-Marc Angéloz, à la suite de la parution d’un livre d’entretiens. Dans le procès de deuxième instance, l’avocat de ce dernier demande un «acquittement clair et net»
Le procès s’est tenu vendredi à Fribourg devant le juge de police de la Sarine, Jean-Marc Sallin. L’auteur de Secrets et confidences d’un président a recouru contre une ordonnance pénale de mars 2023, où le procureur général Fabien Gasser lui a infligé une peine de 100 jours-amende avec sursis pendant deux ans et 1500 francs d’amende ferme.
Son avocat, Patrik Gruber, a plaidé un acquittement «clair et net», assorti d’une indemnité pour tort moral de 5000 francs et d’une autre pour les frais de défense d’un peu plus de 17 000 francs. Il a invoqué les droits à la liberté d’expression et à l’information, en relevant que son client de 73 ans était accusé à tort.
Patrik Gruber a parlé de la défense de valeurs et de lutte contre la censure. «La liberté de la presse et d’opinion est indispensable. Il ne faut pas barrer la route de la démocratie, à l’heure où elle recule dans de nombreux pays. Le défenseur a dénoncé, à l’adresse de Fabien Gasser, le manque de détails de l’ordonnance pénale. La Constitution fribourgeoise de 2004, la loi sur l’information et la Cour européenne des droits de l’homme lui ont servi à détailler son argumentaire. D’après Patrik Gruber, «Jean-Marc Angéloz n’a pas incité Georges Godel à divulguer des secrets de fonction. C’était à ce dernier de déterminer ce qui était confidentiel ou non.»
Le journaliste s’est exprimé luimême avant et après la plaidoirie, pour dire avoir «très mal» vécu la période, notamment avec une perquisition. Son projet a consisté à décrire le «fonctionnement de l’Etat incarné par une personne», en l’occurrence Georges Godel, 71 ans aujourd’hui, «homme fort du gouvernement et le plus bavard».
Revenant sur le réquisitoire du procureur général du canton, Jean-Marc Angéloz a déploré un «flot d’accusations gratuites», rappelant avoir donné 30 jours à Georges Godel pour relire ses citations. Son combat consiste à défendre le travail de journaliste, «de poser des questions et de retranscrire les réponses».
Ligne rouge franchie
Fabien Gasser a requis la confirmation de la peine. «Ce procès n’est ni celui de la liberté de la presse ni celui de la censure, mais celui d’un projet hasardeux mené au mépris de la déontologie.»
A ses yeux, Jean-Marc Angéloz a franchi une ligne rouge en ne respectant pas la feuille de route établie avec Georges Godel. «Il n’a pas géré le secret de fonction», en amenant l’ancien grand argentier cantonal à lui transmettre des rapports confidentiels et des informations sensibles inconnues du grand public. Le journaliste l’a «incité» à agir ainsi. Il a entretenu avec l’élu centriste «une relation de courtisan à courtisé». Pas consultées, les personnes reconnaissables n’ont pas été cachées, sans tenir compte du droit à l’oubli et d’un intérêt public inexistant pour les éléments publiés, a détaillé le procureur général.
Jugement par la poste
Le jugement sera transmis au prévenu par courrier postal. Condamné pour le même motif, Georges Godel, désormais président du groupe laitier fribourgeois en difficulté Cremo, n’a pas fait opposition. Il a été condamné à 90 jours-amende avec sursis pendant deux ans, complétés d’une amende ferme de 2500 francs.
Pour le procès de vendredi, Jean-Marc Angéloz a reçu le soutien de Reporters sans frontières (RSF) Suisse et de l’association professionnelle Impressum. Selon RSF, «la condamnation revient à empêcher les journalistes de faire leur travail en les confinant à un rôle de simples porte-voix de l’information officielle».
Secrets et confidences d’un président a été publié en janvier 2022, dans la foulée du retrait politique de Georges Godel, après quinze ans au gouvernement. Le livre dévoile des informations sensibles tirées de discussions menées à l’interne avec diverses personnes, dont l’ancienne conseillère d’Etat Marie Garnier. ■