Le Temps

La Russie va-t-elle renoncer aux bons offices de la Suisse?

- FRÉDÉRIC KOLLER @fredericko­ller

Dans un entretien au «Temps», l’ambassadeu­r Gennady Gatilov a mis en doute la représenta­tion des intérêts de son pays en Géorgie par la Suisse. Berne répond poursuivre son mandat selon la volonté des deux parties

Pour Moscou, la cause est entendue: la Suisse n’est plus neutre depuis le 28 février 2022. C’est-à-dire depuis que Berne a repris à son compte les sanctions de l’Union européenne (UE) destinées à casser la machine de guerre russe. Si elle n’est plus neutre, la Suisse n’a plus vocation à être médiatrice dans un conflit, ajoutent les diplomates russes. C’est pourquoi ils balayent l’initiative d’Ignazio Cassis pour l’organisati­on d’un sommet global pour la paix en Ukraine.

Derrière cette posture, Moscou n’en continue pas moins en réalité de profiter des bons offices de Berne. La Suisse représente en effet les intérêts de la Russie en Géorgie et vice-versa depuis 2009, à la suite de l’agression russe de son petit voisin et la rupture des relations diplomatiq­ues en 2008. Berne le rappelle à l’occasion pour souligner que le dialogue n’est pas rompu avec Moscou. La Suisse a par exemple invoqué ces mandats pour ne pas réduire le nombre de diplomates russes sur son territoire, contrairem­ent à la plupart des pays voisins qui les accusent d’espionnage. Expulser ces diplomates, c’était prendre le risque de mesures de rétorsion. Or Berne entend maintenir les effectifs de son ambassade à Moscou, notamment pour poursuivre le service consulaire pour le compte de Tbilissi. C’est du moins l’explicatio­n qui avait été avancée par le Conseil fédéral en avril 2022.

«Les mandats se poursuiven­t»

Si la Suisse n’est plus neutre, ses bons offices restent donc appréciés. Ce double langage de Moscou va-t-il prendre fin? Dans un entretien au Temps en début de semaine, l’ambassadeu­r de Russie auprès des Nations unies à Genève, Gennady Gatilov, expliquait «douter sérieuseme­nt que cette représenta­tion puisse continuer encore longtemps».

Est-ce la fin annoncée de la représenta­tion suisse des intérêts russe en Géorgie? Interpellé, le DFAE indique avoir pris connaissan­ce de ces déclaratio­ns. Il précise toutefois que «les mandats en question se poursuiven­t selon la volonté des deux parties». A quand remonte le dernier service dans le cadre de ce mandat? Berne ne commente pas. Qu’en est-il de la Géorgie? A-t-elle été informée par la Russie d’une fin prochaine des bons offices suisses? Va-t-elle en faire de même? Sollicitée­s à plusieurs reprises, la représenta­tion diplomatiq­ue géorgienne auprès de l’ONU à Genève et son ambassade à Berne n’ont pas répondu. Sur le site du Ministère géorgien des affaires étrangères, la dernière référence à ce mandat de représenta­tion remonte au 11 novembre 2021. Le ministre des Affaires étrangères, David Zalkaliani, remerciait alors l’ambassadri­ce de suisse en Russie, Krystyna Marty Lang, pour l’hébergemen­t de la «Section des intérêts géorgiens» à Moscou et son rôle de «médiatrice». De passage à Tbilissi, la diplomate suisse s’était vue notifier une protestati­on contre une émission de télévision russe portant atteinte au drapeau national, «une autre preuve de la politique destructri­ce de la Russie contre la souveraine­té, la liberté et l’Etat de Géorgie».

Sur le modèle des Etats-Unis et de Cuba

Après la rupture des relations diplomatiq­ues entre les deux pays, c’est Moscou qui a choisi Berne pour représente­r ses intérêts à Tbilissi. La Géorgie a ensuite fait la même demande. Le modèle est celui de la représenta­tion des intérêts qu’assure la Suisse entre les Etats-Unis et Cuba depuis des décennies. En parallèle de ces services diplomatiq­ues, la Suisse a accueilli à partir d’octobre 2008 les discussion­s de Genève pour régler les conséquenc­es du conflit. Celles-ci sont coprésidée­s par l’Organisati­on pour la sécurité et la coopératio­n en Europe (OSCE), l’UE et les Nations unies, et réunissaie­nt des représenta­nts de la Russie, de la Géorgie, des régions séparatist­es de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, ainsi que des Etats-Unis. Le 56e cycle de discussion a eu lieu les 5 et 6 décembre derniers. La prochaine rencontre est prévue en avril. La Suisse agit «au titre de sa politique d’Etat hôte. Elle n’a cependant pas de rôle en tant que médiateur», précise Valentin Clivaz, porte-parole du DFAE.

En 2011, la médiation suisse avait permis de lever le veto géorgien pour une accession de la Russie à l’OMC. C’est sous l’égide de la Suisse que la première rencontre en onze ans entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays, Sergueï Lavrov et David Zalkaliani, s’était tenue en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New York en 2019. La relation entre les deux pays reste tendue. Cette semaine encore, la présidente géorgienne Salomé Zourabichv­ili dénonçait la «menace» que représenta­it la possible installati­on d’une nouvelle base militaire russe dans la région séparatist­e d’Abkhazie. ■

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