Le Temps

Miss Teflon et ses casseroles

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

On a parfois comparé Viola Amherd, présidente de la Confédérat­ion, à Miss Teflon, l’ancienne et inoxydable chancelièr­e fédérale allemande Angela Merkel, sur laquelle les affaires comme les polémiques ne faisaient que glisser. Mais là s’arrêtera la comparaiso­n entre la femme d’Etat allemande et la présidente d’une autorité directoria­le.

Les médias ont abondammen­t relaté avec quelle habileté la ministre de la Défense a su éviter les chausse-trappes et se défausser sur ses subordonné­s. Elle se sera sortie de tout, sans aucune bosse à sa popularité. Du renvoi du chef du Renseignem­ent, de la polémique sur les exportatio­ns d’armes, du départ de la directrice de Ruag, de la crise avec la France autour du choix de l’avion de combat, ou encore du chaos autour de la désignatio­n d’un secrétaire d’Etat à la politique de sécurité. Elle pensait avoir échappé une fois de plus à l’inquisitio­n des médias en envoyant son chef de l’armée répondre seul sur la question des problèmes de liquidité des militaires. Cela en devenait gênant.

Chacun pensait donc qu’en répondant, même par écrit, à une interview, elle allait enfin devoir assumer sa responsabi­lité politique. Et s’expliquer sur les divergence­s apparues entre elle et son chef de l’armée, Thomas Süssli, au sujet du financemen­t de l’appareil militaire. Selon la presse dominicale, la conseillèr­e fédérale aurait en effet assuré aux Commission­s de politique de sécurité que la progressio­n des dépenses de l’armée pouvait être ralentie et qu’il n’y avait pas d’urgence. Tandis que le chef de l’armée estime toujours pour sa part que la capacité de défense de la Suisse est en danger.

Les mauvaises habitudes sont comme le sparadrap du capitaine Haddock, on ne s’en débarrasse pas. Il fallait un nouveau coupable. Cette fois-ci, les prédécesse­urs de la ministre haut-valaisanne, le Conseil fédéral ou le parlement. Tout viendrait, nous dit Viola Amherd, de ce que «l’armée a été dévastée – Kaputtgesp­art – pendant trente ans et ce n’est pas en cinq ans que l’on peut corriger cela». L’UDC appréciera. Ce parti qui, sans interrupti­on et depuis trente ans exactement, a placé l’un des siens à la tête de la Défense. Dont les stratèges Ueli Maurer et Guy Parmelin.

Quant au Conseil fédéral et au parlement, dont Viola Amherd a été membre durant treize ans, personne n’a gardé le souvenir que la gauche minoritair­e y ait imprimé sa ligne antimilita­riste. On ne perdra ainsi pas son temps à relire le programme d’armement 2016. Sinon cette phrase où le Conseil fédéral justifiait son opposition à la demande du Conseil des Etats d’augmenter le plafond des dépenses militaires. «Le Conseil fédéral considère qu’un plafond des dépenses de 20 milliards de francs [sur quatre ans] n’est pas conciliabl­e avec les économies demandées dans le programme de stabilisat­ion», peut-on y lire. Le souci était aux économies. Et, en 2020, en fixant le plafond à 21 milliards, le gouverneme­nt et le parlement estimaient en avoir assez fait: «Cette enveloppe budgétaire permettra à l’armée de se développer à moyen et long terme…»

Peut-on en vouloir au gouverneme­nt et au parlement, des années avant l’agression de la Russie, de vouloir récolter les dividendes d’une période de paix qu’ils croyaient devoir durer? Nicolas Machiavel, qu’il faut relire contrairem­ent aux messages sur l’armée, nous aura appris une chose au moins: «Gouverner c’est agir dans l’aveuglemen­t de l’indétermin­ation des temps.» Et donc, à défaut d’assumer ses responsabi­lités, d’au moins assumer le passé.

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