Le Temps

Prolétaire­s, courez à Bienne!

- LAURE LUGON ZUGRAVU JOURNALIST­E

L’état du monde est préoccupan­t. OutreAtlan­tique, Biden confond Macron avec Mitterrand, Merkel avec Kohl et prend Al-Sissi pour un Mexicain. Pour l’instant, il n’a pas encore confondu Poutine et Viola Amherd.

A son propos, je ne la trouve guère rassurante face aux soucis financiers de l’armée, la ministre ayant d’abord adopté la posture du «courage, fuyons» pour finir par rejeter la faute sur autrui selon sa méthode éprouvée.

Alors qu’à Genève, les profs ont bien voulu regagner leurs classes en attente du prochain match, c’est le drame en terres vaudoises. Vers Yverdon, un requérant prend en otage des passagers d’une ligne de train bucolique, ce qui donnera un nouveau souffle au débat sur l’asile qui ronronnait à basse intensité.

Dans ce contexte sombre, il nous manquait une étincelle d’espoir; elle nous parvient de Bienne. Où ce samedi sera lancée «la plus grande campagne de recrutemen­t depuis 1921, celle de la constructi­on du Parti communiste révolution­naire» prévue pour mai, bien entendu. En voilà une bonne vieille idée progressis­te centenaire qui a fait ses preuves – malgré de menus dégâts humains collatérau­x.

Le plan des camarades consiste à recruter 250 nouveaux communiste­s promis à devenir des cadres aguerris à la théorie et à la pratique révolution­naires. Un jeu d’enfant, puisque L’Etincelle, section suisse de la Tendance marxiste internatio­nale, assure que des milliers de combattant­s, manquant de méthode, n’attendent qu’un signal pour partir à l’assaut du grand capital. L’organisati­on compte déjà 61 membres à Berne, 54 à Genève (ses plus gros viviers), et même trois à Zoug – sans doute les seuls contribuab­les non détenteurs des moyens de production. Mais ce ne sont là que vétilles organisati­onnelles. Le programme de fond, lui, est autrement trapu: le parti promet de destituer le Conseil fédéral et d’installer la classe ouvrière. Je salue au passage le courageux confrère de la NZZ qui, en reportage dans la cellule révolution­naire, s’est vu signifier qu’ils en appelaient aussi à l’expropriat­ion de son journal par les travailleu­rs.

Laissez-moi citer ces communiste­s dans le texte, c’est savoureux. Tout y est, de la rhétorique de 1917 aux références historique­s, Marx, Engels, Lénine et Trotski. On invoque la lutte des classes, l’exploitati­on, le renverseme­nt du capitalism­e, on annonce une campagne de fonds pour «la production de matériel de propagande», on s’enthousias­me pour le fort potentiel de «constructi­on de cellules de communiste­s révolution­naires sur chaque lieu de travail, syndicat, école, quartier et associatio­n». Concernant la grève des profs à Genève, leur site titre «La classe ouvrière se réveille!» Avec un salaire annuel de 97 000 francs pour les enseignant­s débutants, le qualificat­if me paraît discutable. Tout ceci serait assez touchant s’il ne traînait pas dans leurs prises de position une vague admission de la violence, à la faveur du soutien à la cause palestinie­nne.

Bref, cela sent le musée, la nostalgie des officines révolution­naires enfumées, les Politburo et les autocritiq­ues infligées aux militants déviants; ça fleure bon la grande époque du baiser fraternel socialiste sur la bouche entre Léonid Brejnev et Erich Honecker. Evitez de demander à Biden de qui il s’agit.

Une suggestion pour votre soirée? Revoir le délicieux film Good Bye Lenin!, ou faire une virée ethnologiq­ue à Berne. Hasta siempre, Comandante!

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