Ambiance de fin de règne au Sénégal
En 2012, Macky Sall faisait campagne pour barrer la route à son ex-mentor, Abdoulaye Wade, qui briguait un troisième mandat. Au Sénégal, la Constitution limite la présidence à deux mandats. Le candidat Macky Sall disait alors: un président «ne peut pas prolonger son mandat, c’est impossible», ne serait-ce qu’un jour. Les Sénégalais sont à cheval sur les principes de la Constitution. Il s’est donc fait élire. Puis réélire en 2019. Au printemps 2023, la rue sénégalaise était en ébullition. Macky Sall laissait planer le doute. Allait-il bien restituer le pouvoir? Ou serait-il tenté, comme Abdoulaye Wade, de jouer les prolongations. Des manifestations, des centaines d’arrestations et quelques morts plus tard, il annonçait qu’il ne serait bien entendu pas candidat. Ce fut un grand soulagement. L’esprit des institutions était sauf. C’était en juillet dernier.
Macky Sall aurait pu quitter le pouvoir le 2 avril prochain avec le respect de ses concitoyens et une réputation internationale enviable. En 2022, il était la voix de l’Union africaine pour affirmer son indépendance. OK pour condamner l’agression russe de l’Ukraine, mais pas question de se ranger derrière l’«Occident» pour sanctionner Moscou. On a pu vérifier son aura en décembre dernier à Genève alors qu’il s’adressait aux membres de l’OMC. Son bilan à la tête du Sénégal pouvait plaider en sa faveur. Il y avait certes des moins, comme la corruption, mais aussi des plus, comme bâtisseur. Après avoir honorablement servi son pays, il pouvait briguer un poste prestigieux à l’international, comme candidat de l’Afrique.
Ce capital a été dilapidé en quelques minutes, samedi dernier. Dans une brève allocution, Macky Sall annulait les élections du 25 février. Deux jours plus tard, le parlement, sous le contrôle de sa coalition, reportait la présidentielle au 15 décembre prochain. Tout cela, au nom de «l’unité nationale». Le président interrompait une campagne qui devait démarrer le lendemain. Depuis, il nourrit le soupçon: quoi qu’il en dise, ne veut-il pas prolonger son mandat? L’opposition l’accuse d’un «coup d’Etat constitutionnel», la société civile, les syndicats, les représentants religieux dénoncent un coup de force contre les institutions et plusieurs capitales appellent le Sénégal à rétablir l’ordre électoral.
Combien de temps sa majorité présidentielle tiendra-t-elle le choc? Son premier ministre, Amadou Ba, qui était le candidat pour lui succéder, semble désormais hors course. Trop impopulaire. L’une des figures les plus respectées de son gouvernement par sa probité, Awa Marie Coll Seck, présentait jeudi sa lettre de démission en signe de protestation. Le représentant du Sénégal à l’Unesco, Souleymane Jules Diop, jetait dans le même temps le trouble en déclarant publiquement que la famille de Macky Sall, dont il est un proche, aurait déjà déménagé au Maroc. Le président s’agrippe à son siège. Mais c’est bien à une fin de règne qu’on assiste.
Il y a peu, Macky Sall déclarait qu’il ne livrerait pas son pays au chaos. Une façon de disqualifier l’opposition. C’est aujourd’hui son action qui provoque le chaos. Se maintiendra-t-il à la présidence jusqu’en décembre prochain? La capacité de mobilisation de l’opposition en décidera. Vendredi, après la prière, elle s’est mise en marche dans toutes les grandes villes du pays. En dernier ressort, l’armée tranchera. Depuis l’indépendance, elle s’est forgé une réputation de loyauté envers la Constitution plutôt qu’à un homme. Une seule puissance paraît en mesure de peser sur le destin du Sénégal. Ce n’est plus la France, mais les Etats-Unis. Une heure après avoir demandé le rétablissement des communications internet, Dakar s’exécutait. Washington demande aujourd’hui le respect du calendrier électoral. ■