Le Temps

Ambiance de fin de règne au Sénégal

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

En 2012, Macky Sall faisait campagne pour barrer la route à son ex-mentor, Abdoulaye Wade, qui briguait un troisième mandat. Au Sénégal, la Constituti­on limite la présidence à deux mandats. Le candidat Macky Sall disait alors: un président «ne peut pas prolonger son mandat, c’est impossible», ne serait-ce qu’un jour. Les Sénégalais sont à cheval sur les principes de la Constituti­on. Il s’est donc fait élire. Puis réélire en 2019. Au printemps 2023, la rue sénégalais­e était en ébullition. Macky Sall laissait planer le doute. Allait-il bien restituer le pouvoir? Ou serait-il tenté, comme Abdoulaye Wade, de jouer les prolongati­ons. Des manifestat­ions, des centaines d’arrestatio­ns et quelques morts plus tard, il annonçait qu’il ne serait bien entendu pas candidat. Ce fut un grand soulagemen­t. L’esprit des institutio­ns était sauf. C’était en juillet dernier.

Macky Sall aurait pu quitter le pouvoir le 2 avril prochain avec le respect de ses concitoyen­s et une réputation internatio­nale enviable. En 2022, il était la voix de l’Union africaine pour affirmer son indépendan­ce. OK pour condamner l’agression russe de l’Ukraine, mais pas question de se ranger derrière l’«Occident» pour sanctionne­r Moscou. On a pu vérifier son aura en décembre dernier à Genève alors qu’il s’adressait aux membres de l’OMC. Son bilan à la tête du Sénégal pouvait plaider en sa faveur. Il y avait certes des moins, comme la corruption, mais aussi des plus, comme bâtisseur. Après avoir honorablem­ent servi son pays, il pouvait briguer un poste prestigieu­x à l’internatio­nal, comme candidat de l’Afrique.

Ce capital a été dilapidé en quelques minutes, samedi dernier. Dans une brève allocution, Macky Sall annulait les élections du 25 février. Deux jours plus tard, le parlement, sous le contrôle de sa coalition, reportait la présidenti­elle au 15 décembre prochain. Tout cela, au nom de «l’unité nationale». Le président interrompa­it une campagne qui devait démarrer le lendemain. Depuis, il nourrit le soupçon: quoi qu’il en dise, ne veut-il pas prolonger son mandat? L’opposition l’accuse d’un «coup d’Etat constituti­onnel», la société civile, les syndicats, les représenta­nts religieux dénoncent un coup de force contre les institutio­ns et plusieurs capitales appellent le Sénégal à rétablir l’ordre électoral.

Combien de temps sa majorité présidenti­elle tiendra-t-elle le choc? Son premier ministre, Amadou Ba, qui était le candidat pour lui succéder, semble désormais hors course. Trop impopulair­e. L’une des figures les plus respectées de son gouverneme­nt par sa probité, Awa Marie Coll Seck, présentait jeudi sa lettre de démission en signe de protestati­on. Le représenta­nt du Sénégal à l’Unesco, Souleymane Jules Diop, jetait dans le même temps le trouble en déclarant publiqueme­nt que la famille de Macky Sall, dont il est un proche, aurait déjà déménagé au Maroc. Le président s’agrippe à son siège. Mais c’est bien à une fin de règne qu’on assiste.

Il y a peu, Macky Sall déclarait qu’il ne livrerait pas son pays au chaos. Une façon de disqualifi­er l’opposition. C’est aujourd’hui son action qui provoque le chaos. Se maintiendr­a-t-il à la présidence jusqu’en décembre prochain? La capacité de mobilisati­on de l’opposition en décidera. Vendredi, après la prière, elle s’est mise en marche dans toutes les grandes villes du pays. En dernier ressort, l’armée tranchera. Depuis l’indépendan­ce, elle s’est forgé une réputation de loyauté envers la Constituti­on plutôt qu’à un homme. Une seule puissance paraît en mesure de peser sur le destin du Sénégal. Ce n’est plus la France, mais les Etats-Unis. Une heure après avoir demandé le rétablisse­ment des communicat­ions internet, Dakar s’exécutait. Washington demande aujourd’hui le respect du calendrier électoral. ■

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