Une fraction de seconde avant la Passion
«Quand Jésus eut pris le vinaigre, il dit: «Tout est accompli.» Et, baissant la tête, il rendit l’esprit» (Jean, 19, 30). La mort du Christ sur la croix est l’impensable sur lequel s’ouvre le chemin de foi chrétien, du fidèle au théologien. Elle a aussi beaucoup intéressé les médecins, croyants ou non.
En mars de l’année passée, le cardiologue belge Christian Brohet, dans un article joliment intitulé «Mort de Jésus du point de vue physiopathologique», évoquait les conséquences d’un choc hypovolémique – c’est-à-dire une importante perte de sang, principalement due à la flagellation et au coup de lance de Longin. D’autres causes possibles ont été produites au fil des siècles: embolie pulmonaire, infarctus… Hypothèses, bien entendu. Dès lors, certains saints Thomas de la corporation médicale ont souhaité passer la crucifixion au filtre de l’expérience. Dans ses recherches visant à prouver l’authenticité du saint suaire, Pierre Barbet (1883-1961) utilisait par exemple des cadavres plus ou moins entiers pour tester les effets du clouage et de la suspension sur le corps humain – on trouve le résumé de ses recherches dans un fameux La Passion de N.-S. Jésus-Christ selon le chirurgien, publié en 1950. Frederick Zugibe* (1928-2013) poursuivait la même quête, mais avec des volontaires vivants et en pleine forme. Rassurez-vous: il ne les clouait pas sur la croix, mais se contentait de les attacher – il avait entre autres inventé un modèle de gant en cuir simulant l’arrimage des mains au bois. Les photographies prises lors de ces expériences (reproduites dans
The Cross and the Shroud: a Medical Inquiry into the Crucifixion, publié en 1988) sont, ma foi, relativement impressionnantes: dans le bureau du médecin, un trentenaire moustachu se cambre sur la croix (il semble sourire, étonnamment); son corps est recouvert de capteurs divers mesurant sa pulsation cardiaque, sa tension, son taux de saturation… Conclusion: la mort du Christ est due à un arrêt cardiaque et respiratoire consécutif à un choc hypovolémique, à nouveau. Selon leurs propres témoignages, les cobayes du Dr Zugibe ont beaucoup souffert sur la croix; heureusement sans séquelles à long terme. ■
* J’ai découvert l’existence de ce personnage dans l’excellent livre de Nicolas Ballet, «Shock Factory. Culture visuelle des musiques industrielles (1969-1995)» (Les Presses du Réel). L’auteur le mentionne dans la section consacrée à «l’esthétisation de l’horreur».