Des retraités coincés dans leurs logements trop grands
La répartition de l’espace de vie dans le pays est grossièrement erronée, estime une étude de Raiffeisen. Un tiers des locataires ont trop d’espace
La Suisse est remplie d’un côté de maisons trop grandes pour les couples vieillissants qui y habitent, et de l’autre de familles toujours plus nombreuses à vivre dans des logements surpeuplés. La raison de ce déséquilibre? Le droit du bail actuel qui creuse les différences entre loyer existant et loyer nouveau. A tel point que pour de nombreux ménages, après une certaine durée d’occupation, réduire la taille du logement n’en vaut plus la peine.
Ce constat est tiré d’une étude de la Raiffeisen du premier trimestre 2024 analysant les effets secondaires du droit du bail. Cette recherche montre qu’une réaffectation viendrait en aide aux ménages vivant dans un foyer trop petit et qu’elle libérerait pas moins de 170000 logements de 4 pièces. Il y aurait de ce fait de la place pour près d’un demi-million de personnes sans avoir à construire un seul bâtiment supplémentaire: la pénurie serait réglée.
Trop cher de déménager
Les jeunes retraités occupent en moyenne plus de 55 mètres carrés et, à titre de comparaison, chez les 25-50 ans, cette surface est de 39 à 45 mètres carrés par personne, relève Blick, qui s’est fait l’écho de l’étude. Les déménagements dans des appartements plus petits ne sont financièrement plus rentables après quelques années, car les loyers des logements n’augmentent que de manière très limitée après la conclusion du contrat. En revanche, avant la signature d’un nouveau contrat, le loyer peut être adapté en fonction de l’augmentation du taux d’intérêt de référence, de l’inflation ou des investissements à réaliser au sein du logement. Au fil des ans, les loyers des biens occupés se dissocient donc fortement des loyers des biens disponibles.
Les seniors vivent ainsi souvent dans des logements dont le nombre de pièces dépasse de deux ou plus celui des occupants. L’étude juge sévèrement la pratique actuelle: «Compte tenu de la nette pénurie d’offre qui persiste sur le marché du logement, cette répartition des surfaces habitables est tout simplement un gaspillage», «ne pas chercher de solution relève de l’autosabotage», avertit-elle.
La solution se trouve-t-elle dans la révision de la loi du bail? Pas besoin, répond le conseiller national socialiste Baptiste Hurni, contacté par Le Temps. Il suffit de l’appliquer correctement. Le Neuchâtelois, qui est également membre du comité de l’Asloca, dénonce «un rendement abusif sur fonds propres parce que les loyers ne sont pas contrôlés». Selon lui, cela crée une «distorsion idiote» entre les appartements occupés depuis longtemps et ceux qui ont changé souvent de locataires, sans que cela soit basé sur des faits objectifs, comme le degré de rénovation.
La situation tient dans les deux faces d’une même médaille, explique Baptiste Hurni. «Les gens ne contestent pas leur loyer initial, ce qui fait que les nouveaux logements ou les logements qui ont subi une rénovation sont très chers. Les logements qui sont habités depuis longtemps, eux, n’augmentent peu ou pas, car les bailleurs savent que s’ils augmentent le loyer en cours de bail, il sera contesté.» Le conseiller national y voit une discrépance énorme. Sa solution: «Les loyers doivent être périodiquement contrôlés, comme cela se faisait en Suisse avant les années 1970-1980. Les logements qui retourneront sur le marché n’auront plus une telle différence, les personnes âgées ne seront plus découragées de déménager.» Pour cela, pas besoin de réformer le droit du bail, selon le socialiste, mais simplement de l’appliquer. «Il faudrait que le contrôle de l’aspect abusif du loyer se fasse de manière automatique et périodique. Ma collègue zurichoise au parlement Jacqueline Badran l’a récemment proposé: elle demandait de créer les bases légales pour que le surveillant des prix puisse contrôler la légalité des rendements locatifs. La majorité bourgeoise l’a rejeté au motif que c’était trop bureaucratique.»
«Il y a un déséquilibre clair entre les loyers bas lorsqu’on vit dans un logement depuis longtemps, et hauts lorsqu’on y entre, confirme Olivier Feller, directeur de la Chambre vaudoise immobilière. Il faudrait lisser cela au niveau macroéconomique.» Le conseiller national PLR vaudois tient tout de même à souligner que «si les séniors ne quittent pas leur logement, il y a vraisemblablement un lien avec le droit du bail à réviser, mais aussi un attachement émotionnel au logement à ne pas sous-estimer».
Faudrait-il une autorité administrative qui vérifie que les loyers initiaux correspondent à tous les critères fixés par la jurisprudence du Tribunal fédéral, comme le demande l’Asloca aujourd’hui? «Il n’y a rien d’automatique en droit du bail, répond Olivier Feller. Les automatismes tels que le demande l’Asloca devraient alors exister tant pour les locataires que pour les bailleurs, et cela ne serait pas forcément avantageux pour les premiers. La solution proposée par Doris Leuthard en 2008 était de réviser la loi du bail en adaptant les loyers à l’inflation, passant de loyers basés sur les coûts à des loyers indexés. Cette proposition a été balayée par le National.»
Pénurie persistante
Les ménages avec enfants disposent d’une surface habitable par personne plus réduite que ceux sans enfants et présentent également un risque plus élevé de vivre dans un logement surpeuplé, détaille encore le dernier rapport de l’Office fédéral de la statistique sur les familles en Suisse. Les couples avec des enfants de moins de 25 ans disposent d’une surface habitable moyenne de 32 m² par personne. Les couples sans enfants dans le ménage disposent en moyenne de 55 m² par personne, 58 m² si les adultes ont 65 ans ou plus.
Il est indéniable que la pénurie de logements va s’accentuer en Suisse ces prochaines années, conclut l’étude de Raiffeisen. «Le moment est particulièrement mal choisi avec une immigration nette record de près de 100000 personnes en 2023 et une délivrance de permis de construire de logements au plus bas depuis vingt ans.»
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«Le contrôle de l’aspect abusif du loyer devrait être fait de manière automatique» BAPTISTE HURNI, CONSEILLER NATIONAL (PS/NE)