Le Temps

«Raël», immense plaisanter­ie alien

Pour Netflix, Antoine Baldassari et Alexandre Ifi proposent une fort bonne enquête sur Claude Vorilhon, sa secte, ses Elohims, ses affaires de contrainte­s sexuelles… et son colossal mensonge du clonage humain, qu’il reconnaît

- NICOLAS DUFOUR @NicoDufour «Raël, le prophète des extraterre­stres».

Il y a quelques semaines, les Romands ont été surpris de voir, dans les gares de la région, des affiches proposant l’érection d’une ambassade pour extraterre­stres. Oui, le mouvement de Raël n’est pas mort. Pour Netflix, les réalisateu­r et producteur français Antoine Baldassari et Alexandre Ifi ont réalisé une excellente minisérie retraçant le parcours parfois glaçant de Claude Vorilhon, qui commence avec son tout premier récit de contact avec les êtres lointains qui nous auraient créés, les Elohims, en 1974.

La résistance du personnage étonne. De plus en plus mal vu en France, il déplace sa secte au Québec en 1995. Là aussi, des révélation­s sur des pratiques douteuses, en particulie­r de l’esclavage sexuel, finissent par rattraper la communauté et son gourou. Lequel file en 2007 pour le Japon, où il réussit à galvaniser de nouveaux adeptes.

L’affaire du clonage, sommet et chute du mouvement

Le point le plus étonnant finalement est qu’après 50 années de prédicatio­ns et des millions siphonnés chez les membres, la fameuse ambassade n’a toujours pas la moindre première pierre posée quelque part sur la Terre.

Riche en archives, l’enquête accorde une grande place à l’affaire du clonage humain, préconisé par le «dernier prophète» dès 2000. Il vante alors cette pratique afin d’obtenir la vie éternelle – une technologi­e nouvelle, toujours liée au grand plan des Elohims pour l’humanité. Ce moment fut à la fois l’acmé du mouvement, avec les auditions de Räel et de ses proches par le Sénat américain, et sans doute le début de sa fin. Les auteurs ont notamment pour témoins Brigitte Boisselier, biologiste qui a annoncé le premier clonage, et Damien Marsic, qui a travaillé au laboratoir­e de Clonaid, la compagnie créée par le mouvement raëlien. Désormais retirée au Mexique, la première est toujours raëlienne; quant au second, il a claqué la porte après trente-trois ans qu’il estime «volés», racontant des années de «torture psychologi­que interne».

La réalité du clonage qu’aurait réalisé Clonaid en Israël n’a jamais été établie. Personne ne peut le prouver, pas même Brigitte Boisselier. Un journalist­e américain ricane: le mouvement raëlien «est un canular qui n’a pas fait de victimes, hormis les Raëliens euxmêmes, qui passent pour les derniers des idiots».

Comme souvent dans les investigat­ions sur les sectes, les motivation­s des adeptes demeurent difficiles à saisir. Comment gober de telles énormités? Et continuer à y croire? Les réponses fournies sont assez convenues: le sens de la vie, la famille et le pouvoir de la communauté, etc. Les propos portant sur la période des accusation­s de contrainte­s sexuelles montrent bien la psychologi­e de groupe, qui se resserre dans l’hostilité ambiante.

Le dernier prophète, en marcel et chapeau de paille

La surprise des chefs est Raël luimême, interviewé au Japon, en marcel et chapeau de paille, parfois entouré de deux jeunes Japonaises qui «rendent [sa] vie plus agréable». Il se dit «presque à la retraite» et assure avoir préparé sa succession – les auteurs signalent d’ailleurs une popularité croissante du mouvement en Côte d’Ivoire.

Surtout, on est stupéfait de voir le maître assumer pleinement le caractère complèteme­nt bidon du clonage humain, disant avoir juste voulu s’opposer au pape, sa bête noire, incarnatio­n de la contrainte et de la religion tueuse. Puis il rigole, il glisse qu’il espère «avoir rendu les gens plus heureux». Comme s’il admettait finalement que ces 50 années ont été une immense plaisanter­ie. Et si tout était faux? Brigitte Boisselier répond: «Si j’apprenais que tout avait été inventé, j’éclaterais de rire et je le remerciera­is. J’ai eu une vie extraordin­aire, je ne changerais rien.»

Une minisérie documentai­re d’Antoine Baldassari et Alexandre Ifi (2024), en quatre épisodes de 45’. A voir sur Netflix.

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