Le Temps

Toute une vie contre le cancer

L’oncologue vaudois vit à Berlin depuis 2013. Il a dédié sa carrière à la recherche sur la maladie et préside Fond’action contre le cancer depuis 2009

- ANNICK CHEVILLOT @chevillot_a

En 2013, Serge Leyvraz a trouvé refuge à Berlin, après une belle carrière d’oncologue au CHUV. «Pour un Vaudois réfractair­e à la langue de Goethe, c’était un sacré défi de venir s’installer ici.» D’autant plus que le spécialist­e des mélanomes oculaires et des immunothér­apies cellulaire­s génétiquem­ent modifiées a alors 63 ans. Toute la famille s’embarque dans l’aventure allemande. Sa fille et son fils sont alors adolescent­s. «Aujourd’hui, ils sont Berlinois. Ils se sentent chez eux dans cette ville vibrante et hyperactiv­e.» Ses trois premières filles d’une précédente union, déjà adultes, restent, elles, en Suisse.

En 2024, le professeur est toujours actif «en tant que consultant scientifiq­ue» à l’Hôpital universita­ire de la Charité. Il aurait dû arrêter de travailler depuis longtemps, mais il poursuit ses recherches cliniques sur le cancer de l’oeil (mélanome uvéal). «Encore un an, après j’arrête.» Une promesse qu’il formule depuis plusieurs années… S’il reste actif, c’est qu’il se sent investi d’une mission: transmettr­e sa passion. «J’ai adoré intégrer de jeunes médecins dans des programmes de recherches cliniques.» Il reconnaît aussi qu’il a un peu «peur de s’ennuyer» une fois à la retraite, et qu’il préférera le tumulte berlinois au chalet dans les Alpes.

Le service d’oncologie du CHUV, c’est lui

Il peut parler durant des heures des traitement­s des sarcomes et des mélanomes. Auteur et coauteur de plus de 350 publicatio­ns dans des revues médicales à fort impact, il avoue ne pas «savoir exactement combien d’articles scientifiq­ues» il a publiés durant sa carrière. Mais il sort de la boîte à gants de sa voiture, «sa» dernière publicatio­n scientifiq­ue. «Elle est spéciale. Elle est parue dans Nature Medicine.» Même après sa longue carrière, publier dans ce prestigieu­x journal scientifiq­ue demeure un jalon important. L’étude clinique porte sur un traitement (le tebentafus­p) indiqué pour des patients souffrant d’un cancer de l’oeil métastatiq­ue. Le clinicien évoque alors la double action de cette molécule. Les termes scientifiq­ues fusent, les yeux de Serge Leyvraz s’illuminent. La passion se niche parfois au plus profond de lymphocyte­s T (cellules à l’origine de l’immunité cellulaire). Et ce n’est pas parce que son nom figure sur le texte paru dans Nature Medicine qu’il se réjouit autant. C’est parce qu’il a confié l’étude à de jeunes chercheurs.

Il ne l’avouera pas, mais il perçoit son approche comme une forme de mentorat. Lui tombe en oncologie en 1981 lorsqu’il part rejoindre le Pr James Holland pour une bourse de deux ans au Mount Sinai School of Medicine de New York. James Holland, c’est le pape de la chimiothér­apie. «C’est mon mentor.» Quand il rentre en Suisse, en 1983, il rejoint l’équipe du Dr Laurent Barrelet à la Policliniq­ue médicale universita­ire de Lausanne. Le CHUV ne dispose alors pas encore d’un départemen­t dédié à l’oncologie. Et si l’hôpital universita­ire vaudois peut se targuer aujourd’hui d’avoir un service multidisci­plinaire largement reconnu, c’est en grande partie grâce à son engagement durant trente ans. «Quand j’ai commencé en 1983, on effectuait entre 5000 et 6000 consultati­ons oncologiqu­es par année. Quand je suis parti, en 2013, il y en avait 35 000 dans le service.»

Prolixe sur sa passion, l’oncologie, le septuagéna­ire se raconte avec pudeur dans les rues de Berlin. Il a opté pour une balade touristiqu­e à bord de sa voiture. Le professeur se déplace en 2 CV rouge dans les rues de la capitale. Il fait beau, il décapote la Citroën. Il évoque à peine sa famille, sa vie à Berlin faite de «musique, de théâtre, d’exposition­s, de bons p’tits bistrots au coin de la rue» de son quartier très animé de Schöneberg. Mais pas un mot sur son frère, Pierre-François Leyvraz, ancien directeur du CHUV. «La famille, c’est compliqué.»

Amoureux de Berlin

Amoureux de Berlin, il rentre néanmoins régulièrem­ent en Suisse, «pour se ressourcer de temps en temps au chalet», pour voir ses filles et aussi pour présider à l’évolution de la fondation Fond’action contre le cancer. «Nous avons choisi ce nom en 1999 pour dire que le cancer, c’est de l’action. Sa spécificit­é est de soutenir une recherche centrée sur le patient. Lors de la Journée internatio­nale contre le cancer [le 4 février, ndlr], beaucoup de médecins ont demandé plus d’argent pour l’oncologie et la recherche. Dans les faits, ces fonds sont avant tout destinés à la recherche en laboratoir­e, essentiell­e, et l’apanage des centres de recherche lausannois comme l’Isrec, l’Institut Ludwig ou l’EPFL. Mais les hôpitaux aussi doivent disposer de plus de moyens pour la recherche clinique, pour le patient. Fond’action joue ce rôle de soutien à la recherche clinique, dans la mesure de ses moyens.»

Cofondateu­r et président de cette institutio­n qui finance des projets de recherche novateurs sur le cancer depuis vingt-cinq ans, il agit là aussi comme un transmette­ur. Chaque année, un chercheur, ou une chercheuse, de moins de 40 ans est récompensé d’un prix – le Young Investigat­or Award – d’une valeur de 100 000 francs pour soutenir ses travaux. Vendredi dernier, c’est le Dr Andreas Reichmuth, de l’Université de Zurich, qui a été distingué pour ses recherches sur «l’utilisatio­n de l’ARN messager pour doter de récepteurs antigéniqu­es chimérique­s (CAR) les cellules lymphocyta­ires et les rendre ainsi tueuses de tumeurs», précise Serge Leyvraz.

«Quand j’ai commencé en 1983, on effectuait entre 5000 et 6000 consultati­ons oncologiqu­es par année. Quand je suis parti, en 2013, il y en avait 35 000 dans le service»

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