Le Temps

La Conférence sur la sécurité de Munich et la paix en Ukraine

- FRANÇOIS NORDMANN ANCIEN DIPLOMATE, CHRONIQUEU­R

Les dignitaire­s suisses qui se rendront le weekend prochain à la Conférence de Munich sur la sécurité auront tout loisir de plaider pour la Conférence au sommet sur la formule de paix en Ukraine qu’ils entendent promouvoir. La guerre en Ukraine sera en effet l’un des thèmes majeurs de la réunion dans la capitale bavaroise. Le Départemen­t des affaires étrangères s’est mis en ordre de bataille – c’est le cas de le dire – pour organiser ladite conférence. On recrute à tour de bras des volontaire­s à l’interne qui seraient disposés à en assurer le service, comme on l’avait fait pour celle de Lugano consacrée à la reconstruc­tion de l’Ukraine.

Certaines divisions politiques du DFAE sont mobilisées autour de ce projet. Au Tessin en 2022, de grands principes ont été posés, puis développés lors d’autres réunions internatio­nales subséquent­es. Mais le sommet que la Suisse entend convoquer sur la paix présente de toutes autres difficulté­s.

A Munich, on se demandera aussi comment sortir de ce conflit. Une victoire de la Russie «changerait dramatique­ment la face de l’Europe et porterait un coup à l’ordre mondial libéral», selon le chancelier fédéral Olaf Scholz. Les ministres, diplomates, généraux et experts qui se réuniront au Bayernhof chercheron­t les moyens de l’éviter.

Deux interrogat­ions majeures vont dominer les débats. Comment accélérer l’aide militaire, financière et politique des Occidentau­x à l’Ukraine pour qu’elle reprenne l’initiative sur le front? L’Ukraine doit regagner la capacité de manoeuvrer hors de l’impasse actuelle et ajouter aux succès qu’elle a remportés en mer Noire de nouveaux gains territoria­ux. Cela dépend pour une bonne mesure des munitions et des armements – notamment de l’artillerie à longue portée – que les Occidentau­x tardent à lui livrer. L’autre question découle de la confusion politique aux Etats-Unis.

Comment compenser le dégagement américain qui suivrait l’éventuel retour de Trump à la Maison-Blanche et dont l’ombre pèse déjà sur la politique américaine? Le Congrès bloque le crédit de 60 milliards de dollars promis à l’Ukraine par l’administra­tion Biden – les sénateurs américains présents à Munich auront à s’en expliquer.

Ces préoccupat­ions sécuritair­es ne portent pas sur les conditions de la paix, même pas sur celles que le président Zelensky a énoncées le 15 novembre 2022 et qui fondent les efforts de la Suisse. Au contraire, la réalisatio­n du programme en dix points postule une intensific­ation des combats débouchant sur la victoire de l’Ukraine. Ils consistent en une réaffirmat­ion des principes de la Charte des Nations unies relatifs au respect de la souveraine­té et de l’intégrité territoria­le des Etats, l’exigence du retrait complet des forces de l’agresseur et du retour des déportés. La création d’un Tribunal spécial pour juger du crime d’agression et la poursuite des violations des droits de l’homme, des mesures propres à assurer la sécurité alimentair­e et la sécurité nucléaire sont aussi envisagées.

La Suisse s’est déjà réservée dans ce catalogue la certificat­ion de la fin de l’état de guerre: lorsque toutes les mesures antiguerre­s auront été mises en oeuvre, que la sécurité et la justice seront rétablies, il lui incombera de préparer un document confirmant la fin de la guerre qui devra être signé par tous les Etats.

Si la guerre d’usure actuelle se prolongeai­t, les experts sont d’avis qu’une guerre longue favorisera­it la Russie. Toutefois, on ne saurait exclure que les aléas de la guerre n’amènent les parties au conflit armé à trouver un compromis, à négocier un cessez-le-feu ou à s’en tenir à un armistice sans autre accord. Ces hypothèses forment le contexte stratégiqu­e de la conférence voulue par la Suisse, au-delà des considérat­ions relatives à la liste des éventuels participan­ts.

La conférence donnerait une nouvelle fois à la communauté internatio­nale l’occasion d’apporter son appui solidaire aux positions de l’Ukraine. Cependant, en l’absence de la Russie et de la Chine, dans un contexte encore indétermin­é et peu propice à la recherche de la paix, le scepticism­e est de mise face aux chances de succès de l’entreprise pacificatr­ice de Berne. ■

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