Le Temps

La fin du droit du sol à Mayotte, une boîte de Pandore

Après la loi immigratio­n qui a fracturé le camp présidenti­el, Emmanuel Macron et Gérald Darmanin créent le contexte d’un débat similaire sur l’archipel devenu 101e départemen­t français depuis 2011

- X PAUL ACKERMANN, PARIS @paulac

En affirmant que l’exécutif français a pris la «décision radicale» de mettre fin au droit du sol à Mayotte, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin (avec l’approbatio­n d’Emmanuel Macron) a ouvert une boîte de Pandore dont on peine à voir où elle mène, y compris pour le gouverneme­nt lui-même.

La gauche vent debout

Entre la côte est de l’Afrique et Madagascar, l’archipel de Mayotte, 101e départemen­t français depuis 2011, fait face à une crise migratoire d’ampleur depuis plusieurs années, principale­ment à cause des canots en provenance des îles voisines des Comores. Le départemen­t le plus pauvre du pays compte 48% d’immigrés dont beaucoup vivent dans des bidonville­s. Cette crise a abouti à une situation sociale et sécuritair­e intenable ainsi qu’à de multiples blocages routiers ces dernières semaines. Plusieurs collectifs d’habitants exigent ainsi des mesures d’urgences. C’est pour répondre de manière spectacula­ire à ce mouvement que Gérald Darmanin s’est rendu sur place dimanche avec cette annonce dans ses valises.

Selon le ministère de l’Intérieur, 44% des enfants nés à Mayotte en 2022 avaient deux parents étrangers. Le droit du sol français stipule que tout enfant né sur le territoire national aura droit à la nationalit­é française tôt ou tard, quelle que soit la nationalit­é de ses parents. Pour limiter ce droit sur une partie du territoire, il faut passer outre «l’unité de l’Etat» et donc modifier la Constituti­on française.

Problème: pour modifier le texte fondamenta­l, il faut soit un référendum, très rare en France, soit l’approbatio­n des trois cinquièmes du parlement sur un texte qui sera négocié par les deux Chambres auparavant. La gauche s’est d’ores et déjà dite foncièreme­nt opposée à cette mesure. La tête de liste écologiste pour les élections européenne­s de juin Marie Toussaint estime par exemple qu’on «ne peut pas continuer à considérer qu’il y a des vies qui en valent moins que d’autres, des territoire­s qui pourraient être moins bien traités».

Surenchère à droite

Pour la tête de liste La France insoumise (LFI) Manon Aubry, «c’est une remise en cause fondamenta­le de notre histoire, de notre droit […] c’est une folie, une brèche». Selon elle, comme la révision aurait de toute façon du mal à passer au parlement, on se trouve face à «un effet d’annonce […] de la communicat­ion sur le dos des migrants». Pour le député socialiste Boris Vallaud, la question est ainsi «abordée de la façon la plus démagogiqu­e qui soit».

Par ailleurs, la fabricatio­n parlementa­ire du texte se fera très probableme­nt avec une surenchère de la droite sénatorial­e et de l’extrême droite, qui a fait de la fin du droit du sol sur tout le territoire un de ses chevaux de bataille. Même Eric Ciotti, le président des Républicai­ns (droite traditionn­elle) défend désormais cette ligne. Une surenchère similaire à celle qui avait été observée sur la loi immigratio­n adoptée dans la douleur en décembre. Ce texte, qui traînait depuis la réélection d’Emmanuel Macron en 2022, a créé des fractures dans l’aile gauche du camp présidenti­el et abouti à un changement de premier ministre et le départ de plusieurs ministres. La loi durcie par la droite sénatorial­e avait d’ailleurs été adoptée par le camp présidenti­el avec la certitude, l’exécutif l’assumait, qu’elle serait en grande partie censurée par le conseil constituti­onnel (notamment sur des aspects concernant Mayotte et le droit du sol).

«C’est une remise en cause fondamenta­le de notre histoire, de notre droit» MANON AUBRY, DÉPUTÉE EUROPÉENNE (LA FRANCE INSOUMISE)

Face à Jean-Marie Le Pen

La nouvelle révision constituti­onnelle «radicale» sur Mayotte, censée «couper l’attractivi­té» de l’archipel, a donc toutes les chances de susciter des débats enflammés similaires et aux débouchés imprévisib­les. D’ailleurs, preuve que la mesure est problémati­que dans l’univers idéologiqu­e macroniste: une vidéo de 2018 a ressurgi qui met le camp présidenti­el dans l’embarras. Face à Jean-Marie Le Pen qui défendait son idée de retrait du droit du sol, en s’appuyant sur l’exemple de Mayotte, Gérald Darmanin lui rétorquait: «Il n’y a pas deux catégories de Français, il n’y a pas deux catégories de territoire­s.» Séquence dont le Rassemblem­ent national se gargarisai­tlargement ces dernières heures.

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