Le fantôme de Khaled Nezzar hante toujours la justice suisse
Le Tribunal pénal fédéral publie un arrêt concernant feu l’ancien ministre algérien de la Défense. Peu avant son décès, Khaled Nezzar avait demandé la récusation du juge appelé à présider son procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité
Drôle de timing tout de même. Dans le flot des décisions publiées régulièrement par le Tribunal pénal fédéral, selon un agenda qui défie souvent la raison, celle du jour concerne le rejet d'une demande de récusation formulée par le très célèbre et surtout désormais défunt Khaled Nezzar. L'ex-ministre algérien de la Défense, qui aurait dû être jugé bientôt en Suisse pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, est mort à Alger le 29 décembre dernier, mettant ainsi un terme à cette procédure qui aura duré douze longues années. Sans doute au grand soulagement de la diplomatie helvétique qui a toujours craint les retombées politiques de ce dossier explosif.
L'arrêt qui vient ressusciter brièvement cette affaire est daté du 20 novembre dernier. On y apprend que l'ancien ministre algérien, et membre du Haut Comité d'Etat, qui se trouvait à la tête de l'armée et des services secrets au début des années 1990, soit durant une guerre civile marquée par les arrestations arbitraires et la torture, avait sollicité la récusation du juge qui devait présider son procès à Bellinzone.
«Formulation malhabile»
Les avocates du prévenu, Mes Magali Buser et Caroline Schumacher, faisaient valoir un soupçon de partialité à l'encontre de ce magistrat, qui avait refusé de retourner le dossier au parquet fédéral pour complément d'instruction et dont l'insistance pour connaître l'état de santé de leur mandant, âgé de 86 ans et atteint d'un cancer, leur paraissait problématique. Après avoir refusé de dévoiler des éléments «trop intimes» pour être exposés, Khaled Nezzar fera finalement parvenir, en date du 27 octobre 2023, deux certificats attestant de sa capacité à comparaître, tout en maintenant la demande de récusation.
S'agissant du renvoi à l'instruction, la Cour des plaintes relève que les griefs sont tardifs. La question du certificat médical, évoquant les aptitudes présentes et surtout «futures» d'assister à l'audience, étonne davantage la Cour, mais pas au point d'y voir un soupçon de partialité. «Il apparaît en effet, que cette demande visait à déterminer quand et comment fixer au mieux les débats en fonction d'éventuels traitements médicaux auxquels le requérant devrait se soumettre et, le cas échéant, prévoir des aménagements particuliers à ce titre. Même s'il eut été opportun que cette demande soit formulée plus clairement en ce sens, on ne peut y déceler un quelconque parti pris ou une erreur particulièrement lourde», souligne l'arrêt.
De même, l'avertissement présidentiel concernant un éventuel «abus de droit» en cas de production ultérieure d'un certificat pour attester d'une incapacité déjà connue est qualifié de «formulation malhabile», qui ne suffit toutefois pas à motiver une récusation. «Eu égard au contexte de l'affaire (procédure complexe, âge avancé et lieu de résidence de l'accusé), il est compréhensible que le magistrat compétent de la police des débats veuille s'assurer de leur tenue correcte, notamment, on l'a vu, en tenant compte des éventuelles exigences de santé du prévenu.»
«Bombe à retardement»
Des débats qui n'auront finalement jamais lieu. Au grand dam des six parties plaignantes et de l'ONG Trial International qui avait signalé la présence du général en 2011, à Genève. Rappelons que Khaled Nezzar a toujours contesté les crimes reprochés tout en évoquant une résistance légitime contre les islamistes. Le pouvoir algérien le considérait toujours comme un héros, «une personnalité militaire éminente» qui avait consacré sa vie à la nation. Et lors de l'annonce de son renvoi en jugement, le ministre des Affaires étrangères avait fulminé contre la Suisse en ces termes: «L'indépendance de la justice ne signifie ni l'irresponsabilité, ni qu'un système judiciaire, quel qu'il soit, s'arroge le droit absolu pour juger des politiques d'un Etat souverain et indépendant.»
Une mauvaise humeur que le Département des affaires étrangères, selon les documents publiés en 2017 par Le Temps, avait anticipée avec quelques craintes. Lors d'une réunion, datée du 3 mars 2016, l'ambassadrice de Suisse en Algérie informait ainsi les procureurs fédéraux que cette enquête est «une bombe à retardement en ce qui concerne les relations bilatérales, un handicap que la Suisse aurait à gérer dans ses relations diplomatiques». Une bombe que le décès du principal intéressé a (en partie) désamorcée.
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