Il y a pire que l’éolienne pour les oiseaux
Une étude révèle que le développement récent des turbines aux Etats-Unis n’a pas eu d’effet à large échelle sur l’avifaune. Ces infrastructures énergétiques ont bien un impact sur les oiseaux en Suisse, mais elles ne sont qu’une menace parmi d’autres
En Suisse comme dans d’autres pays, les éoliennes ont mauvaise presse auprès d’une partie de la population. Les opposants à cette source d’énergie renouvelable critiquent à la fois son impact sur le paysage et ses conséquences négatives pour la biodiversité, notamment sur les oiseaux et les chauves-souris. Deux initiatives populaires viennent d’ailleurs d’être lancées dans l’objectif de contrecarrer son expansion sur le territoire helvétique.
Une étude récente publiée dans la revue Environmental Science & Technology amène pourtant à reconsidérer la menace des éoliennes en regard d’autres types de perturbations. Elle suggère que le développement de cette source d’énergie renouvelable aux Etats Unis au cours des deux dernières décennies n’a pas eu d’impact sur l’avifaune, contrairement à celui, concomitant, de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels.
L’auteur de l’étude est un jeune économiste américain actuellement chercheur à l’Université de Genève. Ornithologue amateur, Erik Katovitch raconte avoir été interpellé par l’importante couverture médiatique consacrée aux conséquences négatives des turbines pour les oiseaux. Ces dernières se sont multipliées aux Etats-Unis au cours des dernières décennies. Le Service américain de géologie (USGS) dénombrait environ 64 000 éoliennes en 2020 (pour une capacité installée de 122 500 MW) contre 4000 mâts (pour 2500 MW) vingt ans plus tôt.
Un déclin significatif à proximité des puits de pétrole
Mais une autre source d’énergie a aussi connu un fort développement au cours de la même période: les gaz et pétroles de schiste extraits du sous-sol par fracturation hydraulique. La production de ce type d’hydrocarbures aux Etats-Unis est passée de 37 milliards de mètres cubes en 2007 à 740 milliards en 2020. Ce qui correspond à environ 46 500 puits actifs en 2007 contre plus de 242 000 en 2020. «Or on manque de données permettant de comparer les impacts relatifs de ces deux types d’infrastructures», relève Erik Katovitch.
Pour y remédier, le chercheur a eu l’idée de se baser sur le Christmas Bird Count (CBC), un recensement bénévole des oiseaux effectué chaque année depuis plus d’un siècle aux Etats-Unis autour de la période de Noël. «Dans le cadre de ce comptage, des ornithologues retournent aux mêmes endroits année après année: on peut ainsi étudier l’évolution de l’avifaune dans un lieu donné, suite à l’installation de puits ou d’éoliennes», explique l’économiste.
D’après son analyse, l’arrivée de puits de gaz de schiste à 5 kilomètres ou moins d’une zone de comptage du CBC y a réduit les effectifs d’oiseaux de 15% en moyenne au cours des années suivantes. Un déclin significatif, probablement lié aux importantes perturbations du milieu occasionnées par ce type d’exploitation (bruits, lumière pendant la nuit, etc.). En revanche, l’installation de fermes éoliennes n’a pas eu d’effet notable. «Et cela même si on considère en particulier le groupe des rapaces, considéré comme le plus à risque», souligne Erik Katovitch.
Ce dernier explique avoir pris en compte un maximum de critères possibles dans ses calculs afin d’éviter que ses résultats soient biaisés (par exemple, les autres changements dans l’utilisation des sols, les conditions météorologiques ou le nombre plus important de puits de pétrole par rapport aux éoliennes). Mais Livio Rey, de la Station ornithologique suisse de Sempach, voit tout de même des limites à son étude: «Un seul recensement entre décembre et janvier est mal adapté pour trouver des résultats fiables. Cette approche peut sous-estimer l’impact sur les espèces rares et vulnérables», mais aussi sur les oiseaux migrateurs.
En Suisse, la menace du trafic et… des chats
Les incidences négatives des éoliennes sur les oiseaux sont attestées par plusieurs études scientifiques, relève la Station ornithologique dans une prise de position sur le sujet. Les grands oiseaux que sont les rapaces ou les cigognes peuvent entrer en collision avec le mât ou les pales. La construction des éoliennes et l’aménagement de leur desserte entraînent par ailleurs une destruction d’habitat aux effets discrets mais significatifs sur les populations aviaires.
«Les éoliennes peuvent avoir une incidence négative au niveau local, cela a été démontré scientifiquement, reconnaît Erik Katovitch. Cependant, dans nos choix énergétiques, nous devrions toujours évaluer à la fois les coûts et les bénéfices. Les éoliennes peuvent tuer des oiseaux mais elles permettent de lutter contre le changement climatique. L’exploitation d’hydrocarbures n’est pas une alternative valable car elle en tue largement davantage tout en contribuant au réchauffement.» Un réchauffement qui lui-même constitue une menace pour les oiseaux, en particulier migrateurs.
Si le gaz et le pétrole de schiste ne font pas partie du paysage énergétique suisse, d’autres menaces pèsent sur les populations d’oiseaux du pays. La destruction de l’habitat est la plus importante, en particulier dans les zones agricoles et humides, où respectivement la moitié et près des deux tiers des espèces sont menacées. Les autres menaces comprennent les éoliennes mais aussi les lignes électriques, les vitrages, le trafic et… les chats, entre autres. Dans sa prise de position, la Station ornithologique énonce des principes permettant de réduire l’impact des turbines, notamment lors du choix de leur emplacement. ■