Pollution et (in)utilité de l’or
Un expert remet en cause la pertinence d’extraire cet élément précieux au XXIe siècle. Cette activité est en effet hautement dommageable pour l’environnement, et sa nécessité toute relative. Vérification depuis la Suisse, plaque tournante du métal jaune
«L'or génère 2% des émissions mondiales et ne sert à rien. Personne ne voit cet éléphant dans la pièce.» Cette phrase émane de Vincent Donnen, un expert en métaux rares à Genève, qui a accordé un entretien au Temps hier. Elle pèse de tout son poids en Suisse, ce pays où seraient raffinés entre un quart et la moitié du métal jaune mondial. Nous avons vérifié si ses propos étaient corrects.
Cet exercice de fact checking commence au gré de la lecture d'un livre sur «la ruée minière au XXIe siècle» qui a fait l'objet d'une critique dans nos colonnes en janvier. Son autrice, Celia Izoard, écrit que la production d'or est «particulièrement énergivore, polluante et majoritairement destinée à produire des bijoux et des lingots qui finissent dans les coffres des banques». Elle cite une étude d'une ONG canadienne, Northern Confluence, publiée en juillet 2023.
Il faut 265 000 litres d’eau pour 1 kg d’or
Ce rapport porte sur l'extraction minière en Colombie-Britannique, une province canadienne riche en minerais. «La grande majorité de l'or extrait, soit 92%, n'est pas utilisée pour des applications technologiques, et pourtant l'or représente la majorité des activités d'exploration au Canada», écrit-il. Ce métal est en général un sous-produit de mines où sont extraits d'autres métaux, comme le cuivre, l'argent ou le plomb.
Le rapport cite une étude publiée en décembre 2022, «The case against gold mining», très critique vis-à-vis de l'extraction aurifère. Son auteur principal, Stephen Lezak, indique que l'industrie aurifère génère 0,3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit plus que l'ensemble de l'aviation intra-européenne (mais moins que ce qu'avance Vincent Donnen).
En 2018, l'organisation World Gold Council (WGC) a en effet calculé que l'industrie aurifère mondiale qu'elle représente a généré 126 millions de tonnes d'équivalent CO2. Ce qui représente bien environ 0,3% des émissions totales de CO2 générées par les activités humaines, selon nos calculs (sachant que l'humanité aurait émis 37 milliards de tonnes d'équivalent CO2 cette année-là).
Stephen Lezak relève que les mines artisanales d'or rejettent 38% de la pollution au mercure due aux hommes. Que l'extraction d'un kilo d'or requiert en moyenne 265 000 litres d'eau et qu'une tonne de terre peut être déplacée dans certaines mines par gramme d'or produit, un problème qui s'aggrave, car les nouveaux gisements sont moins riches. La déforestation minière a été multipliée par six entre 1985 et 2020. Aux Etats-Unis, un dixième des rejets de déchets toxiques industriels signalés aux autorités en 2019 provenaient de mines d'or. Stephen Lezak cite des ruptures de digue contenant des résidus toxiques générés par l'extraction du métal, en Australie, au Canada et aux Etats-Unis.
Il écrit que seul 0,6% de l'or déjà utilisé dans le monde est recyclé. Ces «réserves en surface» porteraient sur une quantité 50 fois supérieure à la demande annuelle, alors que le recyclage de l'or pollue beaucoup moins que son extraction.
Dispositifs dentaires et téléphones
Sollicité, le WGC nous a accordé deux entretiens. Dans le premier, Krishan Gopaul, un analyste, indique que la demande en or a battu un record l'an dernier. Sur les 4898 tonnes produites, 2168 tonnes ont été destinées à la joaillerie et 1037 tonnes aux banques centrales. Ces secteurs représentent les deux tiers de la demande. La Chine a été le principal acheteur.
Selon un rapport du WGC, la part de l'or qui dessert l'organisation est en effet faible. Elle a même diminué ces dernières années. En 2023, 298 tonnes d'or ont été utilisées dans des «technologies»: 241 dans des équipements électroniques, 47 dans d'autres industries et 9,5 dans des dispositifs dentaires.
L'or peut être utilisé dans les écrans et les puces électroniques, notamment celles des téléphones. Ses propriétés en font un élément intéressant dans les détecteurs de fumée, qui peuvent être longtemps inactifs mais qui doivent rester opérationnels. «Les quantités sont petites et elles diminuent quand les prix de l'or sont élevés», indique Krishan Gopaul. En décembre, le cours du métal jaune a battu le record qu'il avait établi pendant la pandémie en atteignant plus de 2130 dollars l'once. Il demeure aujourd'hui à plus de 2000 dollars, un seuil qui paraissait infranchissable avant le covid.
Sur les questions environnementales, le responsable ESG du WGC, John Mulligan, soutient d'emblée que l'or utilisé dans la finance et la joaillerie ne sert pas à rien et que ce point de vue est occidental, car dans de nombreux pays, surtout en Asie, il joue un grand rôle culturel, voire spirituel. «Comme une police d'assurance, l'or ne sert à rien tant qu'on n'en a pas besoin mais il peut aussi devenir très utile», dit-il.
«Comme une police d’assurance, l’or ne sert à rien tant qu’on n’en a pas besoin» JOHN MULLIGAN, RESPONSABLE ESG AU WORLD GOLD COUNCIL
John Mulligan affirme que l'industrie reconnaît désormais que l'extraction d'or est énergivore et que «la tendance dans les mines industrielles est à la réduction de leur impact sur l'environnement». Dans de nombreux pays, les miniers, qui ont besoin d'électricité, «sont les premiers à électrifier des régions entières», dit-il en citant des mises en place de panneaux solaires ou de centrales hydrauliques en Afrique du Sud, au Burkina Faso et au Congo.
Il souligne que l'extraction d'or génère une source de revenu importante dans de nombreux pays – un quart des exportations du Ghana porteraient sur ce métal, par exemple. Une publication de la Banque mondiale décrit d'ailleurs l'exploitation minière artisanale (pour l'or et d'autres minéraux) comme «l'activité rurale non agricole la plus importante dans le monde en développement».
En 2023, 1237 tonnes d'or sont venues du recyclage, soit un quart de la production, une part stable depuis une dizaine d'années. Pourquoi n'augmente-t-elle pas? «En grande partie parce que les détenteurs d'or ne souhaitent pas s'en débarrasser, même quand les prix sont élevés», répond John Mulligan.
Par rapport à d'autres métaux, c'est substantiel. L'extraction de fer, le métal le plus produit, est par exemple moins énergivore, car la teneur en métaux de ses gisements est plus importante. Extraire 1 tonne de fer émet une quantité infiniment moindre de CO2 que la production de la même quantité d'or. En conclusion, les chiffres avancés par Vincent Donnen sont sans doute exagérés, mais ses propos ne sont en rien infondés. ■