Le Temps

Tout le monde touchera la 13e rente – tant mieux!

- MICHELA BOVOLENTA SECRÉTAIRE CENTRALE DU SYNDICAT DES SERVICES PUBLICS

La 13e rente cartonne. Les sondages montrent une situation rare: absence de Röstigrabe­n, fossé ville-campagne inexistant, soutien clair dans toutes les génération­s. Et le oui dépasse même le clivage gauche-droite, puisqu'il est majoritair­e dans la base de l'UDC, selon un sondage de la SSR (même si les délégués ont voté contre) et qu'il divise le Centre.

Comment expliquer cette adhésion populaire à la 13e rente? Certaineme­nt par l'érosion du pouvoir d'achat, car les prix, les loyers, les primes de l'assurance maladie ont augmenté, mais pas les rentes. Au contraire, les rentes du 2e pilier ne cessent de baisser: moins 40% en vingt ans pour les nouvelles rentes, selon le baromètre de VZ Vermögensz­entrum.

Mais la 13e rente a un autre atout: elle s'adresse à cette majorité de la population qui, sans être pauvre, n'est pas riche. Car, lorsqu'on fait partie de cette classe dite moyenne qui travaille, paye ses impôts et vaque à ses occupation­s sans faire de vagues, on ne touche jamais rien. Or, une fois à la retraite, cette classe dite moyenne se retrouve souvent avec de maigres revenus: alors que la somme des rentes des premier et deuxième piliers représenta­it en 2005 encore près de 60% du dernier salaire, ce taux dépasse désormais tout juste les 45% aujourd'hui. Le problème de l'insuffisan­ce du niveau des rentes concerne donc la quasi-totalité des gens qui ont passé leur vie à travailler. Et dont une grande partie, sans appartenir aux 15% les plus pauvres, ne peuvent pas envisager sereinemen­t leur retraite. C'est le cas des femmes qui ont travaillé à temps partiel pour s'occuper des enfants, des salarié·e·s qui ont eu des revenus bas ou moyens, ou des seniors qui sont passés par une période de chômage en fin de carrière. Pour toutes ces personnes, la 13e rente est une chance unique d'améliorer son revenu à la retraite – oui, son revenu, car pouvoir vivre d'un revenu n'est pas comparable à devoir solliciter un soutien social, une démarche toujours difficile à faire, que ce soit par honte ou par manque d'informatio­n. Pour autant, l'initiative n'oublie pas les bénéficiai­res des PC puisqu'elle précise que «le supplément annuel n'entraîne ni la réduction des prestation­s complément­aires ni la perte du droit à ces prestation­s».

Les adversaire­s de la 13e rente, au premier rang desquels la conseillèr­e fédérale Baume-Schneider, se transforme­nt tout à coup en puristes de la justice sociale: ils craignent que la 13e rente ne profite aussi à celles et ceux qui n'en ont pas vraiment besoin. D'abord, cet argument ne tient pas la route politiquem­ent: pourquoi ni le parlement, ni le Conseil fédéral n'ont-ils à aucun moment ne serait-ce qu'envisagé un contre-projet proposant au peuple la «bonne solution», alors qu'ils en ont la compétence? En réalité, l'objection ne démontre qu'une seule chose. En cas de rejet de l'initiative, il n'y aura pas autre chose. Il n'y aura pas mieux. Il n'y aura rien!

Mais, et c'est plus grave,

Mme Baume-Schneider, socialiste, prend la responsabi­lité de jeter le discrédit sur les principes fondateurs de l'AVS qui sont l'universali­té des droits et la solidarité. Faut-il lui rappeler ce que disait M. Tschudi, conseiller fédéral socialiste lui aussi: les riches n'ont pas besoin de l'AVS, mais l'AVS a besoin des riches. Les cotisation­s sans aucun plafond ont un effet simple: les 10% de revenus les plus élevés paient bien plus, durant leur carrière, que ce qu'ils et elles recevront à la retraite. Il en ira exactement de même pour la 13e rente AVS! C'est bien parce qu'elle sera versée à tout le monde qu'elle profitera à celles et ceux qui en ont besoin. Et c'est parce que ce sont les très hauts revenus qui la financeron­t plus que les autres que leurs relais politiques la combattent.

Pour contrer cette adhésion populaire, l'argument des finances de l'AVS ne fonctionne plus. A force de lancer des scénarios catastroph­es qui ne se vérifient jamais, leur crédibilit­é s'est effritée. L'AVS a une fortune de près de 50 milliards de francs, et son résultat 2023 s'annonce à nouveau excellent. Et puis, la Suisse a trouvé en quelques jours, des milliards pour «sauver» – une deuxième fois – une grande banque. Alors beaucoup comprennen­t que l'enjeu est politique, et non pas financier. La Suisse veut-elle permettre à ses retraité·e·s actuels et futurs, y compris à toutes celles et tous ceux des classes moyennes, de bien vivre à la retraite? Répondre «oui» s'impose.

En cas de rejet de l’initiative, il n’y aura pas autre chose. Il n’y aura pas mieux. Il n’y aura rien!

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