Le Temps

Laïcité à Genève: un appel à la lucidité

- LIONEL HALPÉRIN AVOCAT, ANCIEN BÂTONNIER, ANCIEN DÉPUTÉ PLR AU GRAND CONSEIL GENEVOIS

2024 sera, je l'espère, l'année du retour de la paix et de la prospérité. Si un mot devait résumer mes attentes, ce serait «lucidité».

Lucidité face aux attaques contre les libertés, contre la démocratie et contre l'universali­té des droits de l'homme. Lucidité face aux poussées d'antisémiti­sme en Occident. Lucidité face à la compromiss­ion de certains acteurs politiques vis-à-vis de l'islam radical qui, comme le dit si bien Abnousse Shalmani, présidente du jury du Prix de la laïcité de 2023, est un totalitari­sme contre lequel il faut avoir le courage de se lever. Lucidité sur la laïcité, une notion précieuse qui mérite d'être expliquée et défendue.

En décembre 2023, le pasteur évangéliqu­e Jean-René Moret et M. Michaël Mutzner publiaient dans Le Temps une tribune d'opinion dans laquelle ils s'inquiétaie­nt du fait que la laïcité, telle qu'elle est pratiquée à Genève, s'opposerait à la liberté religieuse au motif qu'elle souhaite exclure la religion de l'espace public. Je suis au contraire convaincu que le maintien et le développem­ent de cette laïcité à la genevoise sont essentiels au vivre-ensemble. Dans son ouvrage, Vivre avec nos morts (2021), la rabbin et philosophe Delphine Horvilleur avait d'ailleurs ces mots magnifique­s à propos d'une laïcité qui «n'oppose pas la foi à l'incroyance […] Elle n'est ni fondée sur la conviction que le ciel est vide ni sur celle qu'il est habité, mais sur la défense d'une terre jamais pleine, la conscience qu'il y reste toujours une place qui n'est pas la nôtre […] Elle empêche une foi ou une espérance de saturer tout l'espace.»

Mises en place au XIXe siècle à la suite des guerres de religions entre catholique­s et protestant­s, ces règles de laïcité visent à restreindr­e l'utilisatio­n du domaine public à des fins religieuse­s. Elles permettent d'éviter les tensions et la prédominan­ce d'une religion sur les athées et les autres religions minoritair­es. En effet, s'il est essentiel que chacun puisse pratiquer sa foi comme il le souhaite, rien n'impose que cette foi soit pratiquée dans l'espace public au milieu de ceux qui pensent et croient différemme­nt, ou ne croient pas.

Pour être clair, il ne s'agit pas pour moi de s'opposer aux traditions locales comme le sapin de Noël placé au coeur des villes, devenues culturelle­s plutôt que cultuelles, mais d'éviter les violences et le prosélytis­me. Il convient de se souvenir que, dès qu'une religion souhaite imposer ses croyances aux autres, elle devient politique et source d'intoléranc­e et de totalitari­sme.

Je suis donc inquiet de voir la loi sur la laïcité de l'Etat, votée au Grand Conseil en 2018 puis approuvée par la population en 2019, être peu à peu édulcorée par des décisions de justice. Ces dernières sont certes fondées sur la liberté religieuse et la jurisprude­nce du Tribunal fédéral, mais elles sont problémati­ques en ces temps où la laïcité est le rempart contre le communauta­risme et l'exacerbati­on des tensions.

Or, force est de constater que ces tensions communauta­ires sont très présentes notamment en France, y compris dans le Genevois français, mais aussi en Belgique et en Angleterre depuis plusieurs années. Il est donc essentiel, si nous voulons éviter des dérives du même ordre en Suisse, et singulière­ment à Genève, de nous prémunir contre ce communauta­risme. Pour cela il convient d'abord de préserver le vivre-ensemble, ce qui implique de ne pas laisser l'espace public devenir un lieu de tension entre communauté­s religieuse­s, de continuer à préserver la mixité sociale, en permettant des quartiers qui ne se transforme­nt pas en ghettos à l'image des grandes villes américaine­s ou des cités françaises. Nous aurons certaineme­nt l'occasion d'en reparler en lien avec les prochaines votations sur le PAV, en mars, qui posent la question de la mixité sociale.

Il est donc temps, pour les tribunaux, de protéger notre laïcité à la genevoise. Il est également temps de demander aux autorités politiques de porter ce combat de la laïcité hors des frontières du canton, pour convaincre la Confédérat­ion de l'importance de la lutte contre les communauta­rismes.

Cette année sera, je l'espère, sous le signe de la lucidité. Une lucidité qui nous permettra de regarder l'avenir avec optimisme et de faire de Genève un canton où chacun trouve sa place, à condition qu'il respecte les libertés des autres.

Je suis inquiet de voir la loi genevoise sur la laïcité de l’Etat être peu à peu édulcorée par des décisions de justice

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