Enthousiasme inégal des faîtières suisses face à l’UE
Deux grandes associations économiques ont publié leur position sur le projet de mandat de négociation avec l’Union européenne présenté fin 2023 par le Conseil fédéral. Les patrons romands sont particulièrement empressés
Il est urgent de rétablir des relations stables et durables avec l’Union européenne. Le projet de mandat de négociation présenté par le Conseil fédéral le 15 décembre 2023 est une base solide pour y parvenir. Il faut aller vite car les accords en cours tombent, faute de renouvellement. Voilà le message que les représentants de l’économie romande ont voulu faire passer hier, alors que la phase de consultation sur le texte du Conseil fédéral se clôt.
Le communiqué en français de l’Union patronale suisse (UPS) est cosigné par Economiesuisse ainsi que 12 autres associations économiques cantonales romandes. Un signe, dit Marco Taddei, responsable Suisse romande à l’UPS, «d’un soutien à l’unisson pour poursuivre la voie royale que sont les accords bilatéraux». Un texte similaire en allemand et en italien existe, mais sans la mention d’autres associations. Le signe d’une différence d’approche entre les Romands et le reste du pays dans le dossier européen? Non, répond Marco Taddei, qui assure que l’appréciation du caractère vital des négociations à venir est partagée. Mais il souligne un aspect symbolique dans la présence des 13 signatures sous la sienne: «Depuis mai 2021 et l’abandon des négociations en vue de l’accord-cadre par le Conseil fédéral, la voix de l’économie romande était peu audible. Nous voulons désormais occuper le terrain face à l’Union syndicale suisse.»
Agacés par les syndicats
Le Conseil fédéral a présenté fin 2023 un projet issu de 11 rondes d’entretiens exploratoires avec l’UE. Un mois plus tôt, les représentants de l’USS avaient dit tout le mal qu’ils pensaient d’un texte dont on ignorait alors l’essentiel. La démarche avait agacé les patrons, qui ont considéré que les syndicats affaiblissaient la position de la Suisse en vue des négociations.
Le 1er février dernier, Pierre-Yves Maillard, président de l’USS et sénateur vaudois (PS), a rendu publique sa réponse au Conseil fédéral. «L’USS soutient les négociations avec l’UE à propos des bilatérales III, pour autant que la protection des salaires et le service public soient garantis», peut-on lire en ouverture de neuf pages d’arguments. Malgré une déclaration liminaire favorable, l’USS donne l’impression de vouloir s’opposer aux négociations à venir tant qu’elle n’aura pas obtenu de concessions patronales. L’argumentaire sur la politique européenne cache un enjeu de politique interne. «Il faudra résoudre les problèmes se posant notamment dans les domaines de la déclaration de force obligatoire des conventions collectives de travail (CCT) et du travail temporaire», lit-on sous la plume de Pierre-Yves Maillard. Pour l’USS, en l’état, le projet du Conseil fédéral affaiblit les mesures de protection des salaires en Suisse.
«A nos yeux, la proposition contenue dans le projet de mandat sur la protection des salaires est un excellent point de départ, qui marque une avancée, rétorque Marco Taddei. Il inclut une clause de non-régression qui garantit que nous resterons au minimum aux dispositions actuelles. De plus, l’UE a accepté notre système d’exécution dual dans les mesures d’accompagnement. Les partenaires sociaux pourront continuer à jouer un rôle central. C’est un changement important par rapport à 2018, période durant laquelle l’UE campait sur une approche plus étatiste. L’UPS et l’USS ont ici la même revendication, à savoir qu’il faut tenir compte de la spécificité helvétique. Or, elle a été entendue. Nous ne voulons pas un affaiblissement de la protection des salaires en Suisse.»
Pour Marco Taddei, l’USS fait fi de ces progrès pour s’attacher à des problèmes qui existent mais dont l’échelle ne doit pas menacer tout l’édifice. Le fait que les travailleurs européens détachés en Suisse puissent se faire rembourser leurs frais selon les tarifs de leur pays d’origine est une entorse à la règle qui veut qu’en Suisse, on paye des salaires suisses, estiment les syndicats. Marco Taddei observe qu’il existe des pistes pour éliminer ce risque de concurrence déloyale, d’autant que sur ce point, l’UE semble en contradiction sur ses propres principes. L’Allemagne a d’ailleurs saisi les tribunaux.
«Nous sommes derrière le Conseil fédéral, mais il ne s’agit pas d’un soutien aveugle»
FABIO REGAZZI, PRÉSIDENT DE L’UNION SUISSE DES ARTS ET MÉTIERS (USAM)
Elargir le champ de discussion au travail temporaire en Suisse et à l’avenir des CCT et à leur extension? Pour l’UPS, c’est non. On n’observe pas d’explosion du travail temporaire, avance Marco Taddei. Le système des CCT étendues est inscrit dans une loi de 1957 qui fonctionne bien et n’a nul besoin de modification. «Ces dossiers, conclut-il, n’ont aucun lien avec nos relations avec l’UE.» Le rejet est le même du côté de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), l’autre grande faîtière économique du pays. «La discussion est très mal posée, dit Fabio Regazzi, son président. En ce début de négociation, nous n’irons pas dans le sens d’une protection du marché du travail au-delà de ce que la Suisse connaît aujourd’hui.»
L’USAM a publié hier sa position sur le projet de mandat de négociation. L’enthousiasme de l’UPS y est absent: «L’approche par paquet décidée par le Conseil fédéral est une voie possible pour préserver les intérêts vitaux de la Suisse. L’USAM procédera à une évaluation globale sur la base du résultat des négociations.» «Nous pourrons nous prononcer quand l’accord sera définitif, reprend Fabio Regazzi. Nous sommes derrière le Conseil fédéral, mais il ne s’agit pas d’un soutien aveugle.»
La clause de non-régression? Elle marque un «vrai progrès», admet le président et sénateur tessinois (Le Centre)». En revanche, selon Céline Amaudruz, «cette clause ne garantit en rien la protection des salaires. Elle est même préoccupante dans l’insécurité juridique qu’elle génère». Pour la conseillère nationale UDC, «on a changé le paquet-cadeau, mais le contenu est le même» qu’avec le projet d’accord-cadre abandonné en 2021: «La Suisse a le choix entre l’alignement sur les positions de l’UE ou l’apocalypse.» La Genevoise répondait hier ainsi à la majorité de la Commission de l’économie, où elle siège, qui «approuve l’orientation générale des lignes directrices de négociation et soutient le Conseil fédéral dans sa volonté d’ouvrir les négociations avec la Commission européenne».
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