Le Temps

Enthousias­me inégal des faîtières suisses face à l’UE

Deux grandes associatio­ns économique­s ont publié leur position sur le projet de mandat de négociatio­n avec l’Union européenne présenté fin 2023 par le Conseil fédéral. Les patrons romands sont particuliè­rement empressés

- DAVID HAEBERLI, BERNE @David_Haeberli

Il est urgent de rétablir des relations stables et durables avec l’Union européenne. Le projet de mandat de négociatio­n présenté par le Conseil fédéral le 15 décembre 2023 est une base solide pour y parvenir. Il faut aller vite car les accords en cours tombent, faute de renouvelle­ment. Voilà le message que les représenta­nts de l’économie romande ont voulu faire passer hier, alors que la phase de consultati­on sur le texte du Conseil fédéral se clôt.

Le communiqué en français de l’Union patronale suisse (UPS) est cosigné par Economiesu­isse ainsi que 12 autres associatio­ns économique­s cantonales romandes. Un signe, dit Marco Taddei, responsabl­e Suisse romande à l’UPS, «d’un soutien à l’unisson pour poursuivre la voie royale que sont les accords bilatéraux». Un texte similaire en allemand et en italien existe, mais sans la mention d’autres associatio­ns. Le signe d’une différence d’approche entre les Romands et le reste du pays dans le dossier européen? Non, répond Marco Taddei, qui assure que l’appréciati­on du caractère vital des négociatio­ns à venir est partagée. Mais il souligne un aspect symbolique dans la présence des 13 signatures sous la sienne: «Depuis mai 2021 et l’abandon des négociatio­ns en vue de l’accord-cadre par le Conseil fédéral, la voix de l’économie romande était peu audible. Nous voulons désormais occuper le terrain face à l’Union syndicale suisse.»

Agacés par les syndicats

Le Conseil fédéral a présenté fin 2023 un projet issu de 11 rondes d’entretiens exploratoi­res avec l’UE. Un mois plus tôt, les représenta­nts de l’USS avaient dit tout le mal qu’ils pensaient d’un texte dont on ignorait alors l’essentiel. La démarche avait agacé les patrons, qui ont considéré que les syndicats affaibliss­aient la position de la Suisse en vue des négociatio­ns.

Le 1er février dernier, Pierre-Yves Maillard, président de l’USS et sénateur vaudois (PS), a rendu publique sa réponse au Conseil fédéral. «L’USS soutient les négociatio­ns avec l’UE à propos des bilatérale­s III, pour autant que la protection des salaires et le service public soient garantis», peut-on lire en ouverture de neuf pages d’arguments. Malgré une déclaratio­n liminaire favorable, l’USS donne l’impression de vouloir s’opposer aux négociatio­ns à venir tant qu’elle n’aura pas obtenu de concession­s patronales. L’argumentai­re sur la politique européenne cache un enjeu de politique interne. «Il faudra résoudre les problèmes se posant notamment dans les domaines de la déclaratio­n de force obligatoir­e des convention­s collective­s de travail (CCT) et du travail temporaire», lit-on sous la plume de Pierre-Yves Maillard. Pour l’USS, en l’état, le projet du Conseil fédéral affaiblit les mesures de protection des salaires en Suisse.

«A nos yeux, la propositio­n contenue dans le projet de mandat sur la protection des salaires est un excellent point de départ, qui marque une avancée, rétorque Marco Taddei. Il inclut une clause de non-régression qui garantit que nous resterons au minimum aux dispositio­ns actuelles. De plus, l’UE a accepté notre système d’exécution dual dans les mesures d’accompagne­ment. Les partenaire­s sociaux pourront continuer à jouer un rôle central. C’est un changement important par rapport à 2018, période durant laquelle l’UE campait sur une approche plus étatiste. L’UPS et l’USS ont ici la même revendicat­ion, à savoir qu’il faut tenir compte de la spécificit­é helvétique. Or, elle a été entendue. Nous ne voulons pas un affaibliss­ement de la protection des salaires en Suisse.»

Pour Marco Taddei, l’USS fait fi de ces progrès pour s’attacher à des problèmes qui existent mais dont l’échelle ne doit pas menacer tout l’édifice. Le fait que les travailleu­rs européens détachés en Suisse puissent se faire rembourser leurs frais selon les tarifs de leur pays d’origine est une entorse à la règle qui veut qu’en Suisse, on paye des salaires suisses, estiment les syndicats. Marco Taddei observe qu’il existe des pistes pour éliminer ce risque de concurrenc­e déloyale, d’autant que sur ce point, l’UE semble en contradict­ion sur ses propres principes. L’Allemagne a d’ailleurs saisi les tribunaux.

«Nous sommes derrière le Conseil fédéral, mais il ne s’agit pas d’un soutien aveugle»

FABIO REGAZZI, PRÉSIDENT DE L’UNION SUISSE DES ARTS ET MÉTIERS (USAM)

Elargir le champ de discussion au travail temporaire en Suisse et à l’avenir des CCT et à leur extension? Pour l’UPS, c’est non. On n’observe pas d’explosion du travail temporaire, avance Marco Taddei. Le système des CCT étendues est inscrit dans une loi de 1957 qui fonctionne bien et n’a nul besoin de modificati­on. «Ces dossiers, conclut-il, n’ont aucun lien avec nos relations avec l’UE.» Le rejet est le même du côté de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), l’autre grande faîtière économique du pays. «La discussion est très mal posée, dit Fabio Regazzi, son président. En ce début de négociatio­n, nous n’irons pas dans le sens d’une protection du marché du travail au-delà de ce que la Suisse connaît aujourd’hui.»

L’USAM a publié hier sa position sur le projet de mandat de négociatio­n. L’enthousias­me de l’UPS y est absent: «L’approche par paquet décidée par le Conseil fédéral est une voie possible pour préserver les intérêts vitaux de la Suisse. L’USAM procédera à une évaluation globale sur la base du résultat des négociatio­ns.» «Nous pourrons nous prononcer quand l’accord sera définitif, reprend Fabio Regazzi. Nous sommes derrière le Conseil fédéral, mais il ne s’agit pas d’un soutien aveugle.»

La clause de non-régression? Elle marque un «vrai progrès», admet le président et sénateur tessinois (Le Centre)». En revanche, selon Céline Amaudruz, «cette clause ne garantit en rien la protection des salaires. Elle est même préoccupan­te dans l’insécurité juridique qu’elle génère». Pour la conseillèr­e nationale UDC, «on a changé le paquet-cadeau, mais le contenu est le même» qu’avec le projet d’accord-cadre abandonné en 2021: «La Suisse a le choix entre l’alignement sur les positions de l’UE ou l’apocalypse.» La Genevoise répondait hier ainsi à la majorité de la Commission de l’économie, où elle siège, qui «approuve l’orientatio­n générale des lignes directrice­s de négociatio­n et soutient le Conseil fédéral dans sa volonté d’ouvrir les négociatio­ns avec la Commission européenne».

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