Quel dégât pour la réputation de la Suisse?
Relayée par les grandes agences de presse, l’affaire du panneau à caractère antisémite placardé à Davos a eu un retentissement international
«Nous observons cela avec attention», explique Alexandre Edelmann, le directeur ad interim de Présence Suisse. Cela? Lundi, la presse alémanique reproduisait la notice d’un restaurateur de Davos indiquant en hébreu que son matériel de ski n’était plus à louer pour les «frères juifs» après une série «d’incidents très ennuyeux», y compris un vol. Alertée, la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) dépose alors plainte «pour infractions à la norme pénale contre le racisme». De son côté, la police cantonale des Grisons ouvre une enquête pour soupçon de «discrimination et incitation à la haine». L’après-midi même, le restaurateur présente ses excuses via une vidéo diffusée sur Blick. ch et retire la pancarte. Il explique avoir eu des problèmes «avec seulement une petite partie des clients juifs» et ne veut «pas mettre tout le monde dans le même panier».
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Entre-temps, l’information est reprise par les grandes agences de presse, AFP en France, AP aux Etats-Unis et Keystone-ATS donnant à l’incident un retentissement international en associant Davos et la Suisse à une pancarte antisémite. «L’affaire est importante et grave par ce qu’elle révèle de la nature humaine dans un climat déjà lourd où tous les voyants sont au rouge s’agissant des recensements d’actes antisémites dans le monde», réagit Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’Antisémitisme et la Diffamation (Cicad), qui redoute les répercussions pour l’image de la Suisse. Il en veut pour preuve la reprise de ces dépêches d’agence dans les médias des pays voisins et anglo-saxons. Hors d’Europe, le média officiel russe Russia Today a aussi relayé l’information en évoquant un «énorme scandale».
«C’est significatif, mais le volume et la tonalité des articles à l’étranger sur ce sujet ne constituent pas à ce jour une crise d’image», tempère Alexandre Edelmann dont les services réalisent une revue de presse sur les articles consacrés à la Suisse dans les médias internationaux. Le directeur ad interim souligne que l’information a été reprise de manière factuelle, avec la réaction des autorités, et n’a suscité aucun commentaire. «Nous n’avons pas identifié de texte d’opinion soulignant un lien particulier entre la Suisse, Davos et l’antisémitisme sur la base de cet incident, y compris en Israël.» Aucune référence non plus au fait que la station accueille chaque année le Forum économique mondial. On est très loin de la couverture de la faillite de Crédit Suisse ou du refus du Conseil fédéral d’autoriser la réexportation d’armes suisses vers l’Ukraine, les deux faits majeurs ayant eu une incidence sur l’image de la Suisse en 2023. Présence Suisse rendra son rapport annuel en mars prochain.
«La tonalité des articles à l’étranger ne constitue pas à ce jour une crise d’image»
ALEXANDRE EDELMANN, DIRECTEUR AD INTERIM DE PRÉSENCE SUISSE
Appel à la minorité silencieuse
Les Alpes grisonnes n’en sont pas à leur premier acte discriminatoire envers les juifs. En 2017, un hôtel d’Arosa priait ses «clients juifs, femmes, hommes et enfants, de prendre une douche avant et après la baignade». Une affaire qui avait eu un écho international plus important, note Alexandre Edelmann, en particulier en Israël. En septembre dernier, le directeur de l’Office du tourisme de Davos se plaignait dans deux interviews du comportement des juifs orthodoxes. Chaque été, plus de 4000 d’entre eux se retrouvent dans la station. «Une partie de ce groupe d’hôtes a sensiblement du mal à respecter les règles de la vie en commun», déplorait alors Reto Branschi dans la Davoser Zeitung.
Face à cette multiplication d’incidents, le secrétaire général de la FSCI, Jonathan Kreutner, lançait hier dans la Jüdische Allgemeine «Un appel à la majorité silencieuse de Davos». «L’idée qu’au coeur de l’Europe du XXIe siècle, des services soient refusés à des personnes simplement parce qu’elles sont juives est insupportable. Beaucoup se demandent si Davos a un problème d’antisémitisme», écrit-il. Reto Branschi expliquait lundi à l’agence Keystone-ATS qu’«en tant qu’organisation touristique, nous sommes en contact avec toutes les parties et essayons de faciliter le dialogue». Il déplorait la «formulation très malheureuse» du restaurateur dont il se distanciait. Tout en précisant, à propos d’une «partie des hôtes juifs orthodoxes» qu’elle «se comporte parfois de manière très irrespectueuse envers les hôtes et autres prestataires de services».
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